Le Monde comme il va - Tag - CapitalismeLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016DotclearL'Inde de Modi : un modèle de développement…urn:md5:2cb8033b37b4346f24e507f7d7c0392c2016-01-25T17:58:00+00:00PatsyActualité internationaleCapitalismeInde<p><strong>Nouvelle donne, vieilles rengaines n°8 (janvier 2016)</strong><br />
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Depuis 2014, l'Inde a hérité d'un nouveau Premier Ministre. Narendra Modi est le prototype même de l'homme d'appareil. Lentement mais sûrement, il a gravi tous les échelons de son parti le BJP, le Parti du peuple indien, jusqu'à en devenir une des figures majeures au début du présent siècle. Il doit sa notoriété à ses talents de tribun, à sa capacité à capturer l'attention des masses hindoues avec ses envolées lyriques nationalistes et anti-musulmanes. On l'a souvent accusé de jouer avec le feu, voire même d'allumer les incendies inter-communautaires dans son bastion du Gujarat, un Etat situé à l'ouest de l'Inde qui a subi une longue influence musulmane, même si sa population est à 80 % hindouiste.</p> <p>Son élection à la tête du pays n'est pas seulement dû à son nationalisme teinté de xénophobie, mais également à sa posture d'homme moderne, dynamique et libéral. Modi n'a jamais caché qu'il souhaitait faire de l'Inde une puissance industrielle, un nouvel eldorado pour les multinationales du monde entier, un nouvel atelier du monde capable de supplanter la Chine au jeu mortifère du moins-disant social. Car, voyez-vous, le travailleur chinois devient de moins en moins compétitif à force de revendiquer ; alors en Inde, en Birmanie, au Vietnam et ailleurs, on espère capter l'entrepreneur soucieux de maintenir son taux de profit en lui offrant des zones franches qui sont auitant des zones de non-droit social et syndical…<br /></p>
<p>L'Inde a des atouts, notamment une population jeune, mais elle a surtout des graves carences. Si 7 Indiens sur 10 ont moins de trente ans, bien peu sont formés et aptes à occuper les potentiels postes dans l'industrie. L'Inde, c'est avant tout un pays dont l'économie est boosté par le secteur tertiaire, qui compte pour les deux tiers dans son Produit intérieur brut, mais un secteur tertiaire très fortement centré sur l'informatique et ses dérivés. L'Inde, c'est avant tout un territoire où règne massivement le secteur informel, où l'essentiel de la population survit avec des petits boulots, des petits salaires et pas ou peu de protection sociale. L'Inde est un territoire où les campagnes ont été abandonnées à leur sort ou confier aux géants de l'agro-business. L'Inde, c'est aussi un pays fragile, avec des banques qui fleurent bon les prêts toxiques…<br />
Mais cela n'est pas de nature à effrayer Modi. Il clame bien haut que ce qu'il a fait du temps où il régnait sur le Gujarat, il peut le refaire pour le pays tout entier. Car avant de devenir le Premier ministre de la République indienne, il a dirigé le Gujarat pendant plus d'une décennie avec, dit-on dans les milieux d'affaires, un franc succès. On a beau rappelé aux milieux d'affaires qu'un taux de croissance conséquent n'est pas forcément synonyme de franc succès, ils n'en ont cure. Qu'importe si la population du Gujarat, hormis les classes moyennes urbaines, a très peu profité de ce décollage économique, que la misère demeure endémique, que la malnutrition frappe massivement, et que le système scolaire et de santé demeure déficient ! L'important, c'est le taux de croissance !<br />
Quelles sont les recettes miracles appliquées par Modi pour sortir le Gujarat de l'ornière durant ses mandats ? Elles furent simples et tiennent en une formule : donner de la liberté au business.<br />
Donner de la liberté au business signifie s'en prendre au droit du travail là où il existe, et à ceux qui le défendent en les menaçant physiquement, voire en les liquidant. On ne compte les agressions dont furent victimes syndicalistes et autres défenseurs des droits humains ;<br />
Donner de la liberté au business signifie abaisser le taux d'imposition sur les bénéfices des sociétés, autrement dit pratiquer une politique de dumping fiscal.<br />
Donner de la liberté au business signifie vendre au privé les secteurs encore nationalisés. Cela concerne aussi bien les ports que les chemins de fer ou le secteur de l'électricité. C'est une façon de rompre avec le modèle de développement jusqu'alors en cours en Inde où l’État était dirigiste et interventionniste.<br />
Donner de la liberté au business signifie aider financièrement les entreprises qui souhaitent se développer ; car le big business, tout libéral qu'il est, adore l'argent public autant que les déductions fiscales et les exonérations de charges.<br />
Donner de la liberté au business équivaut à lui permettre d'exploiter la population sans être gêné par une législation pesante et somme toute punitive à l'égard de ceux qui osent entreprendre.<br /></p>
<p>Evidemment donner de la liberté au business a des conséquences parfois fâcheuses. La corruption, déjà forte et structurelle, a retrouvé de la vigueur ; et militer contre la corruption au Gujarat est un acte courageux qui coûte parfois la vie. D'ailleurs, Modi s'est empressé de transformer les organismes de répression de la corruption jadis indépendant en structure soumise directement au pouvoir. Aux dernières nouvelles, la corruption aurait régressé…<br />
Le miracle indien a ses laissés-pour-compte. Ce sont ces centaines de millions de paysans qui croupissent dans la misère et qui ont vu le gouvernement Modi remettre en question les programmes sociaux des gouvernements précédents, notamment un dispositif de type RSA destiné à donner du pouvoir d'achat dans les zones rurales pour y stimuler l'économie. Il ne serait guère surprenant que le pays s'embrase ça et là dans les prochains mois, la croissance n'étant guère au rendez-vous, au contraire de la frustration sociale.<br /></p>
<p><strong>Sources</strong><br />
Christophe Jaffrelot, <em>Inde : un émergent en quête d'un second souffle. Du bureau du monde à l'atelier du monde ?</em>, CERI, 2015.<br />
Rohini Hensman, « Inde : le modèle de développement du Gujarat à l'épreuve des inégalités », <em>L'aggravation des inégalités</em>, Alternatives Sud n°22 (2015).<br /></p>Pauvreté, non ! Inégalités, ouiurn:md5:9a63d0bd33c1ae8c1a0c026aa68fde0e2016-01-13T21:33:00+00:00PatsyQuestion socialeCapitalisme<p><strong>Nouvelle donne, vieilles rengaines n°7 (Alternantes FM)</strong><br />
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A chaque début d'année, c'est comme ça, on se met à prendre de bonnes résolutions : arrêter de fumer, de trop boire, de regarder la télé ou de fredonner des chansons de Michel Delpech. Et on les note pieusement sur un bout de papier, histoire de pouvoir les réitérer le 31 décembre suivant. La Communauté internationale fonctionne comme le plus humble bipède : elle fait des promesses qu'elle ne tiendra pas mais qui réchauffent le coeur. Elle sait que nous ne pouvons pas vivre sans espoirs et sans leurres.</p> <p>Souvenez-vous. Nous étions en l'an 2000 et la Communauté internationale adoptait la Déclaration du millénaire dans laquelle elle s'engageait, la main sur le coeur et le postérieur sur le coussin péteur, à éradiquer la pauvreté, la misère, les guerres, mais pas le capitalisme (et ça, c'est pas négociable). Dans cette déclaration, on pouvait lire des choses admirables comme « les hommes et les femmes ont le droit de vivre et d’élever leurs enfants dans la dignité, à l’abri de la faim et sans craindre la violence, l’oppression ou l’injustice », mais aussi qu'« aucune personne, aucune nation ne doit être privée des bienfaits du développement. L’égalité des droits et des chances des femmes et des hommes doit être assurée. », sans oublier l'admirable couplet suivant : « Il convient de faire preuve de prudence dans la gestion de toutes les espèces vivantes et de toutes les ressources naturelles, conformément aux préceptes du développement durable. C’est à cette condition que les richesses incommensurables que la nature nous offre pourront être préservées et léguées à nos descendants. Les modes de production et de consommation qui ne sont pas viables à l’heure actuelle doivent être modifiés, dans l’intérêt de notre bien-être futur et dans celui de nos descendants. »<br /></p>
<p>Je ne sais combien de temps, d'énergie et de notes de frais furent nécessaires pour qu'un tel texte soit pondu, amendé et finalement adopté par nos dirigeants. Je ne veux même pas le savoir car cela risquerait d'être particulièrement indécent. Mais je ne devrais pas prendre cela à la légère, même si aujourd'hui, on considère qu'un peu plus de 110 000 personnes contrôlent plus de 16 trillions de dollars, soit l'équivalent d'un cinquième du PIB mondial ; qu'en gros la moitié la plus pauvre de la population mondiale détient moins de 1 % des richesses totales, tandis que les 10 % les plus riches en détiennent 87 %, et le fameux 1 % le plus riche près de la moitié. Je ne devrais pas prendre cela à la légère parce que derrière les discours convenus, suintant de repentance, il y a de véritables enjeux idéologiques. Car lutter contre la pauvreté ne signifie en rien lutter contre les inégalités. Ou plutôt, il ne faudrait pas qu'au motif de lutter contre la pauvreté, on en vienne à promouvoir des politiques de réduction des inégalités sociales.<br /></p>
<p>Pour les libéraux qui dominent la communauté internationale, l'inégalité en tant que telle n'est pas un problème ; elle est naturelle, indispensable au système capitaliste, favorise même la croissance économique et l'enrichissement de tous. C'est ce qu'on appelle la théorie du ruissellement. Les riches dépensent leur argent, donc créent de l'activité qui profitent in fine à tout le monde, y compris les pauvres. Et puis, il y a toujours le fantôme du vieux Herbert Spencer qui flotte encore. Spencer qui, à la fin du 19e siècle, se battait comme un beau diable contre la prise en charge par les Etats de la misère sociale, la jugeant contre-productive, transformant les pauvres en assistés au lieu de les obliger à se prendre en charge eux-mêmes... en ne les aidant pas. Aujourd'hui encore, on fustige les politiques sociales qui, en aidant les pauvres, ne les poussent pas à s'intégrer sur le marché du travail aux conditions dudit marché. On fustige dans le même mouvement tous les dispositifs qui freinent l'épanouissement du marché libre, comme la Justice fiscale, autrement dit les politiques fiscales qualifiées de confiscatoires, les freins à l'investissement et à la mobilité du capital, les normes environnementales drastiques, les aides aux pauvres pas assez ciblées, sans oublier of course le droit du travail toujours trop gros, toujours trop rigide, toujours trop protecteur ; bref, on fustige tout ce qui empêche les pauvres de vendre leur force de travail, même à vil prix. « A bas l’État-providence ! A bas les travailleurs protégés ! Pauvres de tous les pays, unissez-vous derrière la fière bannière du marché libre, seule bannière capable de vous émanciper ! » tel est le discours des élites libérales qui sont capables de nous vendre la liquidation des filets sociaux de protection comme condition sine qua non pour combattre la pauvreté.</p>Des poireaux, des moutons et la « patent box »urn:md5:4b15f668e84344e4d3e58d831fa82e7f2014-12-01T22:31:00+00:00PatsyQuestion socialeCapitalismeEuropeIrlande<p><strong>Chronique (décembre 2014)</strong><br />
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Depuis des siècles et des siècles, des hommes s'évertuent à faire de l'argent avec de l'argent. Pour cela, il faut faire travailler sa cogiteuse. Soyons honnêtes, disons-le franchement : il faut également des amis ; des amis haut placés, le genre qui détient les rênes du pouvoir, pose son séant sur les bancs des assemblées et qui, au nom de la compétitivité, de la croissance, de la liberté d'entreprendre ou de je ne sais quoi d'autre est capable de faire de votre intérêt particulier l'intérêt général. Faut savoir sous-traiter de temps en temps.</p> <p>Faire travailler sa cogiteuse ne signifie pas uniquement se faire des réseaux dans les milieux de la politique ; car le problème des politiques est qu'ils ont des comptes réguliers à rendre à la masse de gueux qui les élisent, et que parfois ces gueux tiennent des propos très anti-économiques comme « vaudrait mieux taxer les riches que les pauvres », « les multinationales ont trop de pouvoir », « l'optimisation fiscale, c'est pas bien. » Faire travailler sa cogiteuse signifie être capable de trouver le moyen de contourner toutes ses règles, normes liberticides qui corsettent le business.<br />
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L'Irlande, avant l'arrivée du Messie néolibéral, c'était des poireaux, des moutons, des rouquins, du rugby, du whisky, de la précarité sociale. L'Irlande, après l'arrivée du Messie néolibéral, c'est des poireaux, des moutons, du rugby, du whisky, des sièges sociaux de multinationales et du surendettement. Grâce à une politique fiscale des plus attractives, l'Irlande est devenu l'un de ses paradis où le business libre et indépendant peut s'égayer dans la nature sans craindre de se faire estourbir par un bolchevik ou un agent du fisc, ce qui grosso modo est la même chose.<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Irlande_m.jpg" alt="Irlande.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Irlande.jpg, nov. 2014" /><br /></p>
<p>Le gouvernement irlandais, en cogitant, venait d'inventer un système très judicieux pour attirer sur son sol les Apple, Google et autres mastodontes du monde du marché libre. Prenons l'exemple de la société TPMG. TPMG centralise l'ensemble de ses ventes dans une filiale irlandaise. Cette filiale verse elle-même l'essentiel de ses bénéfices, sous forme de royalties, à une seconde filiale irlandaise, détenant les droits sur tous les brevets de TPMG. Comme cette seconde filiale est officiellement basée aux Bermudes, l’État irlandais ne lui impose aucune taxe ; et comme aux Bermudes, il n 'y a pas d'impôt sur les bénéfices des sociétés, l'affaire est dans le sac.<br /></p>
<p>Avec la crise, le développement de la précarité sociale et la conviction chez beaucoup de citoyens du monde, de droite comme de gauche d'ailleurs, que le capitalisme sauce néolibéral était néfaste, les tenants d'un capitalisme régulé ont commencé à taper du poing sur la table. Au nom de la concurrence libre et non faussée, ils ont enjoint les gouvernements les plus « pro-business » et les paradis fiscaux à mettre de l'ordre dans leurs politiques fiscales. Concrètement, le gouvernement irlandais a été obligé de revoir son dumping fiscal. Alors que notre société TPMG était taxé à 2 ou 3 %, désormais, elle le sera, en 2015, à 12 ou 13 %, taux le plus bas de l'Union européenne.<br />
Victoire de la Justice fiscale ? Loin de là car le ministre des finances Michael Noonan a indiqué qu'il allait mettre en place sur le sol irlandais un système intitulé la « patent box », système déjà en vigueur en Belgique ou au Luxembourg, et bientôt en Grande-Bretagne, Chypre etc., système qui repose sur un principe simple : taxer au minimum tous les revenus tirés de la propriété intellectuelle, autrement dit des brevets. Grâce à cela, Noonan espère que l'Irlande, ses poireaux, ses moutons, son whisky, son rugby resteront un paradis fiscal à la hauteur des espérances des multinationales...<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.noonan_s.jpg" alt="noonan.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="noonan.jpg, nov. 2014" /><br />
Derrière le doigt d'honneur, Michael Noonan himself</p>Rana Plaza, un an aprèsurn:md5:7e1e169d5d8f84ed5fea3dc81198f73c2014-10-27T09:26:00+00:00PatsyQuestion socialeCapitalismeConditions de travailSyndicalisme<p><strong>Chronique octobre 2014 (Patsy et Fabrice)</strong><br />
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Au milieu du 19e siècle, afin de préserver les bonnes mœurs et la moralité publique, quelques patrons très pieux eurent l'idée de créer des usines-couvents. Une usine-couvent était un lieu clos, dépourvu de recoins sombres, et géré de façon toute militaire afin d'éviter que la main d'oeuvre féminine n'ait à subir les assauts des mâles, de bon gré parfois ou de mauvais gré souvent, car certains profitaient de leur statut pour s'arroger un droit de cuissage. D'autres patrons créèrent des usines-internats destinées aux jeunes filles dont les parents désiraient qu'on préserve la vertu. Entre l'atelier, le dortoir collectif et la salle de prière, leur hymen était à coup sûr bien gardé ! Le contrôle social au service de la productivité : on n'a rien trouvé de mieux !</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Rana_plaza_m.jpg" alt="Rana_plaza.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Rana_plaza.jpg, oct. 2014" /><br />
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Le 24 avril 2013, à Dacca, plus de 1000 personnes ont perdu la vie, 2000 ont été blessées. Elles étaient pour l'essentiel ouvrières du textile, de ce textile bangladais qui fait le bonheur des firmes du prêt-à-porter. Le 24 avril 2013, l'immeuble du Rana Plaza s'est effondré sur ses 5000 occupants ; des occupants pris au piège. Car voyez-vous, au Bangladesh, on ne s'embarrasse pas trop avec des règles, des normes et du bon sens ; ce qui importe, c'est de discipliner ce prolétariat nouveau et de le faire marner. On ne construit pas d'usines modernes, on occupe des immeubles d'habitations dans lesquels on entasse et enferme à double tour les bras utiles, pourvoyeurs de plus-value, douze heures par jour. Et on fait la chasse aux syndicalistes, parce que même réformiste, un syndicaliste est un ennemi du développement, de la croissance et de l'ordre. Dans un pays de misère où l'exportation de vêtements bon marché est le secteur de pointe, un patron peut tout se permettre : quel gouvernement viendra entraver le sacerdoce de ceux qui font entrer les devises ? Peut-on espérer grand-chose des députés dont une bonne moitié ont des intérêts directs et indirects dans la florissante industrie textile ?<br /></p>
<p>Rappelons qu'en septembre 2013, quelques mois après la catastrophe du Rana Plaza, les travailleurs et travailleuses ont engagé un bras-de-fer avec le patronat, conscients qu'ils n'avaient rien à attendre de la compassion de ceux qui les font trimer. « Le textile est une industrie nationale » déclara alors le ministre de l’intérieur, Khan Alamgir, avant d’ajouter : « Ceux qui agiront contre cette industrie seront considérés comme opposés à la nation (…) Toute tentative de déstabiliser le secteur sera empêchée par toute force ». Rien de moins ! Malgré la répression et les coups tordus, ils obtinrent des augmentations de salaires de quelques dollars par mois. Comme quoi, pour paraphraser le vieux Pouget de la CGT syndicaliste-révolutionnaire : « C'est pas l'estomac qui fixe le taux des salaires : c'est notre biceps ».<br /></p>
<p>L'affaire du Rana Plaza frappa tellement les esprits que certains virent en elle enfin une opportunité réelle de faire avancer les choses, histoire que le malheur des uns fasse le bonheur des survivants. Le bonheur ? Le mot, je vous le concède, est fort. Disons que l'histoire de la lutte des classes est l'histoire des tentatives multiples menées par le prolétariat pour s'affranchir complètement ou partiellement de la domination patronale ; et que le bonheur, souvent, se niche là où pour exploités que nous soyons, nous jouissons de suffisamment de droits pour que la potion nous soit moins amère.<br /></p>
<p>Syndicats locaux, internationaux et multinationales de la fringue avaient signé un accord juste après la catastrophe, accord dans lequel les multinationales s'engageaient à respecter les conclusions des experts indépendants missionnés pour faire le tour des bagnes industriels et juger de leur inadaptation éventuelle : autrement dit, elles s'engageaient à fermer les usines dangereuses et à mettre aux normes les autres.<br />
Evidemment, nous eûmes droit au traditionnel choeur des pleureuses : imposer des règles, des normes, des ceci et des cela, ça déprime le patron, ça fait fuir les investisseurs, c'est donc contre-productif ; le coût du travail, voilà l'ennemi ! Evidemment, quelques grandes marques comme Wal-Mart ont refusé de signer cet accord. Evidemment, certains grands groupes comme Auchan ou Carrefour ont refusé catégoriquement de verser de l'argent pour indemniser les victimes, avançant que cela les rendait co-responsables de la catastrophe du Rana Plaza. Peut-on exiger du donneur d'ordres qu'ils s'intéressent de près à la façon dont on produit ses biens ? Non, of course !<br /></p>
<p>Pour certains syndicalistes et ONG, cet Accord est d'une importance capitale car une clause permet d'attaquer en justice les donneurs d'ordre signataires là où ils ont leur siège social. Dans un monde où les multinationales et autres grands groupes se déchargent de toute responsabilité sur les épaules de sous-traitants qu'elles pressurent, cette dimension n'est pas à négliger. Mais rappelons-le : le recours au droit ne doit pas devenir l'alpha et l'omega de la pratique ouvrière...</p>Gary Becker is deadurn:md5:7e01f02a5f322366f3b8c310ec1bdef22014-10-20T16:48:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalisme<p><strong>Chronique (octobre 2014)</strong><br />
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Gary Becker est mort. C'était en mai dernier et bêtement, cette information m'était sortie de la tête. Gary Becker est mort et cela ne me fait ni chaud ni froid. Et c'est peut-être également votre cas : car qui connaît Gary Becker ? Pas grand monde, hormis les économistes, les sociologues et les pauvres.<br />
Les économistes, parce que Gary Becker était un membre de leur communauté. Les sociologues, parce que l'économie de Gary Becker avait la volonté d'expliquer tous nos comportements sociaux. Les pauvres, parce que Gary Becker s'essuyait dessus avec allégresse. Je corrige : les pauvres ne connaissaient pas Gary Becker mais vivaient au quotidien la traduction concrète de ses idées.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/Becker.jpg" alt="42-20009200" style="display:block; margin:0 auto;" title="42-20009200, oct. 2014" /><br />
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Autant l'avouer, je n'ai jamais lu un livre de Gary Becker. D'ailleurs je ne sais même pas si ses travaux sur le capital humain par exemple ont été traduits en français… Je sais juste que Gary Becker était l'un des chefs de file de ce courant fort libéral pour qui les individus, vous comme moi, étaient des êtres extrêmement rationnels, de cette rationalité qui fait de nous, non pas des êtres de chair et de sang, non pas des amoureux fous de la liberté, mais des homo oeconomicus, des « hommes économiques ». Car pour Gary Becker et ses amis, nous ne sommes guidés que par une chose : l'utilité que nous procure nos actions. Becker s'est fait connaître par ses théories sur les criminels : un criminel commet un acte délictuel parce qu'il a calculé que le bénéfice qu'il pouvait en tirer était supérieur au risque encouru. Il en concluait que le durcissement des peines était la seule façon de venir à bout de la délinquance. Aux Etats-Unis, des récidivistes purgent ainsi de lourdes peines de prison pour des vols de rien du tout, en application de la « loi des trois coups ». Jerry Dewayne Williams, fut ainsi condamné à 25 ans de prison par un tribunal californien pour le vol d'une part de pizza, car il avait été condamné auparavant pour vols ou possession de drogues.<br /></p>
<p>Nous étions donc, pour Becker et compagnie, des êtres égoïstes et calculateurs. Nos comportements étaient ceux du consommateur qui, devant deux marchands de fruits et légumes, choisit celui qui propose le meilleur rapport qualité/prix, en toute connaissance de cause. Or, nous ne prenons jamais de décision en toute connaissance de cause, car nous ne sommes pas omniscients.<br />
Nous ne sommes pas des êtres égoïstes et calculateurs. Nous pouvons l'être parfois. Certains le sont souvent. Mais la plupart du temps, nos comportements d'êtres sociaux sont davantage marqués par notre héritage et notre panurgisme que par notre soi-disant rationalité.<br /></p>
<p>L'utilité n'explique pas grand-chose et l'homo oeconomicus est, pour reprendre l'expression de Pierre Bourdieu, un « monstre anthropologique. » Becker ne fait pas de la science, il fait de l'idéologie. En rendant chacun responsable de ses actes, donc de sa destinée, il a participé de ce grand mouvement réactionnaire visant à liquider les Etats-providence, à justifier les inégalités sociales et à stigmatiser les pauvres. Comme l'écrit le sociologue François Dubet, « la lutte contre les inégalités suppose un lien de fraternité préalable » ; or, dans un monde d'homo oeconomicus narcissiques et seulement préoccupés de leur intérêt personnel, l'un des piliers de l'idéal républicain français, la fraternité, devient accessoire, ou plutôt s'accommode fort bien de la relégation hors de son univers de ces pauvres, de ces inadaptés produits par le développement capitaliste, et « plus l'on croit que le mérite est récompensé dans la société où l'on vit (…), plus on pense que les inégalités sociales sont acceptables. » (François Dubet)</p>Du gueux à moudreurn:md5:1e2399e44bf5450ab18e8aed4153f1242014-09-30T21:33:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalismeConditions de travail<p><strong>Chronique (septembre 2014)</strong><br />
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Avec un taux de chômage supérieur à 10 %, une croissance en berne et un moral dans les chaussettes, la patrie des droits de l'Homme et du citoyen va mal, très mal. Les recettes des politiciens ne fonctionnent pas. Normal, les politiciens ne se mettent point les mains dans le cambouis. Ils pérorent, échafaudent des plans, ménagent la chèvre et le chou alors qu'il leur faudrait, au contraire, prendre des décisions fortes, radicales. En revanche, les patrons, ces conquérants du monde moderne, ces aigles que l'on prend trop souvent pour des pigeons, savent ce qui leur faut pour remettre de la croissance dans l'atonie, du bonheur sur les visages et de la sueur sur les fronts. Car c'est dans l'effort que la Nation trouve un supplément d'âme. C'est dans l'effort qu'elle se forgera un destin à la hauteur de son passé. Oui, je sais, j'en fais trop, mais j'essaie de mettre du Malraux dans le Gattaz afin de captiver votre attention.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Gattaz_m.jpg" alt="Gattaz.png" style="display:block; margin:0 auto;" title="Gattaz.png, sept. 2014" /><br />
<strong>Pierre Gattaz, apôtre ou pénitent ?</strong><br /></p>
<p>Dans les années 1960 et 1970, de jeunes écervelés brandissaient, sourire aux lèvres et larme à l'oeil, le petit livre rouge, recueil de citations bouleversifiantes du Grand timonier Mao Zedong, qu'il était conseillé de lire et de commenter collectivement, autour d'un bol de riz blanc, of course, because la viande et les légumes, c'était pour les bureaucrates du parti.<br />
Le petit livre jaune du Medef connaîtra-t-il le même destin ? Rigolo d'ailleurs d'avoir choisi le jaune comme couleur, car tous ceux qui s'intéressent à l'histoire ouvrière savent que le jaune est la couleur des non-grévistes, des larbins du patronat, des lâches, faux-derches, opportunistes... et of course celle du Vatican qui, en matière d'alliance avec les exploiteurs, n'a de leçons à recevoir de personne !<br />
Autant vous l'avouer, je n'ai pas eu le courage de chercher sur le Net ce pensum libéral. J'ai juste mis la main sur un document recensant les propositions les plus importantes, et susceptibles de faire de la France à nouveau une puissance respectée, dynamique, forte, et non plus ce musée à ciel ouvert parcouru de touristes en short. Je l'ai parcouru et je vous avoue qu'il m'est tombé des mains.<br /></p>
<p>Pierre Gattaz, mon cher Pierre, toi le Prince des apôtres du marché libre, tu m'as déçu. J'espérais trouver dans ton dernier bréviaire quelque idée nouvelle, un souffle révolutionnaire, le cri du manager blessé. Et rien, nada, sinon les éternelles recettes à la papa : primauté aux accords d'entreprise sur la loi, durée du travail assoupli en fonction du carnet de commandes, remise en question de la généralisation des 35 heures, généralisation du contrat de projet (ce que certains appellent des CDI à durée déterminée), réforme du marché du travail, de l'assurance-chômage et des régimes des retraites, allègement des charges patronales et baisse des impôts et taxes diverses sur les sociétés, révision des seuils sociaux et simplification de la représentation du personnel des entreprises, suppression d'un ou deux jours fériés…<br />
Le moins-disant social comme solution à la crise, franchement, Pierrot, est-ce bien sérieux ? Cela doit faire trois décennies qu'on détricote, qu'on aménage, qu'on réforme, avec quel résultat ? Aucun ! Alors certes, me diras-tu, c'est que nous ne sommes pas allés assez loin ! Ok, mais si nous allons plus loin, n'y a-t-il pas un risque que nos concurrents entament eux-aussi des réformes destinées à reprendre de l'avance sur nous ? Peut-être, me diras-tu, mais le monde est ainsi fait et de monde, nous n'en avons qu'un !<br />
Mon cher Pierre, les gens de ton espèce me font penser à politicien du 19e siècle, Casimir Périer, qui déclara un jour de 1831 alors que les canuts lyonnais se battait pour survivre : « Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation. » Lorsque Casimir Périer est mort, on prêta au roi Louis-Philippe cette déclaration : « C'était une âme de banquier scellée dans un coffre-fort. » Heureusement, les coffre-forts, ça se fait sauter.</p>Au Sud, les jeunes perdent le Nordurn:md5:7485fce421184f97de93305375a26f332014-01-13T21:15:00+00:00PatsyCapitalismeConditions de travail<p>Il y a la Corée du Nord, sa dictature sanglante, ses défilés au cordeau, ses disettes régulières et ses accès de fureur. Et puis il y a le sud, la vitrine de l'Occident, l'exemple chéri, celui que l'on montrait dans les écoles pour prouver, mais oui mais c'est bien sûr, qu'il était possible de sortir du sous-développement. Au communisme de caserne, on opposait le capitalisme autoritaire et on nous sommait de choisir. Et les libéraux chérissait le Sud même si la transformation de ce pays rural en dragon industriel en deux ou trois décennies devait davantage au dirigisme musclé qu'au libéralisme du laissez-faire.</p> <p>Parlant des Etats postcoloniaux africains, Jean-François Bayart soulignait « leur bas régime d'accumulation économique et de centralisation politique, reposant sur le contrôle de la rente de la dépendance vis-à-vis de l'environnement extérieur, plutôt que sur la surexploitation intensive des dominés. » (J .-F. Bayart (dir.), La greffe de l'Etat, Karthala, 1996) La Corée du Sud, c'est l'inverse : un régime autoritaire centralisé jusqu'aux années 1980, une économie sous contrôle étatique constant, des travailleurs trimant comme des bêtes mais bénéficiant d'une sorte d'emploi à vie. Le seul point commun est celui de la dépendance : la Corée du sud ne doit son développement qu'au soutien massif que lui ont accordé les Etats-Unis et le Japon qui voyaient en elle l'incontournable rempart face au péril rouge.<br />
La Corée du sud est donc un dragon qui crache des produits manufacturés, un dragon qui est fier de ses chaebols, autrement dit de ses grands conglomérats comme Samsung ou Huyndai, un dragon qui compte peu de chômeurs et plein de travailleurs acharnés qui travaillent autour des 48 heures hebdomadaires minimum et cela, 50 semaines par an. C'est le prix à payer pour faire partie du cercle des pays dit riches.<br />
Mais le marché du travail coréen a deux faces. L'une nous montrera un travailleur trimant beaucoup, prenant peu de vacances, bénéficiant d'un salaire « correct » et d'avantages sociaux. L'autre nous montrera un prolétaire travaillant beaucoup ou pas assez, prenant peu de vacances, pour un salaire minable et des conditions de travail de plus en plus déplorables. Car la moitié des travailleurs coréens sont des travailleurs précaires soumis à du temps partiel imposé, et surtout à des formes de contrat peu protectrices. Des travailleurs qui sont bien souvent des travailleuses trimant dans le secteur des services.<br />
Les syndicats coréens ont beau se battre pour limiter le recours aux heures supplémentaires, aux CDD abusifs et obtenir des embauches, rien n'y fait : majorer fortement le montant des heures supplémentaires n'a en rien modifié la donne ; et au lieu d'embaucher leurs travailleurs précaires, les entreprises ont préféré les débaucher et les remplacer par des contrats de sous-traitance. Dans la construction navale, 60 % des ouvriers sont des « sous-traités »...<br /></p>
<pre></pre>
<p>Travailler plus pour gagner plus, travailler plus pour gagner de quoi vivre, travailler plus par discipline... Les Coréens ne se reproduisent plus : ils travaillent, et puis ils meurent de fatigue sur leur lieu de travail. Le karoshi est japonais, le gwarosa est coréen, et le résultat est le même : il a la couleur d'un linceul.<br /></p>
<p>Mais le modèle est en crise. Si, par discipline et par promesse d'intégration sociale, les Coréens ont accepté les journées à rallonge et le capitalisme de caserne, la jeune génération, elle, n'y croit plus. Elle sait que le marché du travail sud-coréen propose de moins en moins d'emplois « protégés », et que pour les obtenir, la concurrence sera féroce. Elle sait qu'elle aura en conséquence plus de risques de décrocher l'un de ces « jobs » mal payés, en tout cas trop mal payés pour qu'il soit envisageable pour elle de rembourser l'emprunt indispensable à la poursuite de ses études ou au renforcement de son employabilité.<br />
Alors, ceux que l'on appelle la « Génération à 600 euros », les abonnés au travail précaire décrochent, abandonnent tout espoir d'ascension sociale par le salariat. Ironique, le journaliste coréen So Po-mi nous glisse ces mots : « Il est sans doute exagéré de dire que les jeunes Coréens d'aujourd'hui cherchent volontairement une régression sociale, mais il y a de fortes chances qu'ils y parviennent sans l'avoir cherché. »<br />
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<strong>A lire</strong><br />
Jean-Marie Pernot, <em>Corée du Sud – Temps de travail et précarité</em> in Chronique internationale de l'IRES n°142, septembre 2013.</p>On est toujours le nègre de quelqu'unurn:md5:2d0dc3ecb552b500e3d7b41c86c976ff2013-11-19T19:15:00+00:00PatsyQuestion socialeCapitalismeNationalisme<p><strong>Chronique (novembre 2013)</strong><br />
<strong>Par Patsy et Fabrice</strong><br />
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Depuis quelques semaines, l'extrême-droite a fait de Christiane Taubira sa cible favorite. Il faut dire que la Garde des sceaux l'a bien cherché. Elle est femme, noire, intelligente et pugnace, soit l'incarnation même de ce que les racistes exècrent : la capacité des individus à ne pas se tenir à un rôle défini par autrui (Dieu, la Science ou les Dominants).</p> <p>Dans ces périodes de tensions politiques (un gouvernement aux abois), sociales (le fameux « ras-le-bol fiscal ») et sociétales (l'émotion provoquée par le mariage pour tous, la chasse aux Rroms « inassimilables »), le raciste n'a pas besoin de se cacher, d'euphémiser sa haine ou de lui donner une allure scientifique.<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/9020927-kiev-ukraine--le-24-f-vrier-2011--spectacle-fc-besiktas-partisans-leur--sans-racisme--banni-re-au-co.jpg" alt="9020927-kiev-ukraine--le-24-f-vrier-2011--spectacle-fc-besiktas-partisans-leur--sans-racisme--banni-re-au-co.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="9020927-kiev-ukraine--le-24-f-vrier-2011--spectacle-fc-besiktas-partisans-leur--sans-racisme--banni-re-au-co.jpg, nov. 2013" /><br />
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Au 19e siècle, des chercheurs se sont efforcés d'enrober scientifiquement leur idéologie xénophobe et sexiste. Le Nègre n'était pas Nègre parce que Nègre. Le Nègre était Nègre parce que sa capacité cérébrale, la forme de son crâne ou son goût de l'égalité le faisaient Nègre<strong>1</strong>. La femme n'était pas femme parce que femme. La femme était femme parce que la Nature (ou Dieu) l'avait destinée à enfanter, faire la vaisselle et à ne point faire d'études. Racisme et sexisme ont toujours marché main dans la main. Souvenons-nous de ce qu'écrivait Gustave Le Bon, médecin de formation, dans un style inimitable : « Chez les peuples inférieurs ou dans les couches inférieures des peuples supérieurs, l’homme et la femme sont intellectuellement fort voisins. A mesure au contraire que les peuples se civilisent, les sexes tendent de plus en plus à se diversifier. » Vous avez saisi ? Pour notre médecin du 19e siècle, l'ennemi avait deux visages : celui du socialisme égalitaire qui émergeait et entendait renverser les hiérarchies sociales ; celui du féminisme balbutiant qui voulait arracher la moitié de l'humanité à son « destin » social.<br /></p>
<p>En Bretagne, un vent de colère chaussé d'un bonnet rouge s'est levé sur fond de crise politique et sociale. Patrons, ouvriers licenciés ou en passe de l'être, agriculteurs, artisans et commerçants se sont retrouvés dans la rue pour clamer leur « ras-le-bol fiscal » et défendre l'emploi en Bretagne.<br />
Surfant sur le Net à la recherche de la fameuse pétition de soutien aux Bonnets rouges, j'ai fini par en trouver une : celle de l'extrême-droite. On peut y lire ceci : « Paysans, marins-pêcheurs, ouvriers, artisans, chefs d’entreprise seront tous réunis et soudés pour défendre le droit de vivre et de travailler au pays, ce droit que les dirigeants politiques au pouvoir refusent aux Bretons, comme ils le refuseront demain à tous ceux qui refusent les licenciements, la mondialisation forcenée, la fiscalité démesurée, le grand remplacement de population. »<br />
Ces identitaires n'ont peur de rien. Vous êtes de gauche ? Ils ressuscitent le célèbre « Vivre et travailler au pays » qui, dans les années 1970, était le slogan d'une gauche autogestionnaire, écolo et anti-impérialiste. Vous êtes de droite ? Ils vous offrent l'inoxydable référence à l'union sacrée, à l'alliance entre le Capital et le Travail. Vous êtes racistes comme eux ? Ils vous offrent l'énigmatique « grand remplacement de population ». A première vue, la phrase est curieuse et le lecteur non averti ne comprend pas ce que vient faire ici à côté de la « mondialisation forcenée », de la « fiscalité démesurée » et des « licenciements », ce « grand remplacement de population ». En fait l'expression est due à la plume de Renaud Camus, écrivain raciste, islamophobe et antisémite. Le « grand remplacement » fait référence à l'immigration non-européenne qui, of course, va nous submerger et nous faire changer de civilisation ! Bientôt les galettes de blé noir seront halal, qu'on se le dise !<br />
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On s’aperçoit également que l’Institut de locarn n’est pas très loin. Cet institut voit dans ce vent de colère une façon de réaliser son projet politique : défendre un capitalisme breton s’appuyant sur les valeurs du peuple breton. Même s'il est difficile d’avoir des infos précises sur ce lobby qui rassemble depuis 1991 la fine fleur du patronat local, on le sait lié au comte de Coudenhove-Kalergi, fondateur de l'Union paneuropéenne, dont les principes fondamentaux sont sans équivoque : « L'Union paneuropéenne reconnaît l'autodétermination des peuples et le droit des groupes ethniques au développement culturel, économique et politique (…) Le christianisme est l'âme de l'Europe. Notre engagement est marqué par la conception chrétienne des droits de l'homme et des principes d'un véritable ordre juridique. » Amen !<br />
C'est dans ce contexte que des personnalités ont lancé à Pontivy « l'appel breton du 18 juin » pour une « gouvernance économique régionale » et « le droit à l'expérimentation », fondant par la même occasion un nouveau lobby, le Comité de convergence des intérêts bretons (CCIB), avec pour mot d'ordre : « Décider, travailler et vivre au pays ! ». Nos croisés ont clairement annoncé la couleur : « L'heure des méthodes douces est révolue. Pour obtenir des réponses concrètes et immédiates, il va falloir livrer bataille. » Et dans l'oeil de leur viseur, il y avait l'écotaxe !<strong>2</strong><br /></p>
<p>A Quimper le 2 novembre dernier, une foule impressionnante a donc défilé dans les rues. Une foule à l'image de la période : perturbée et sens dessus-dessous. Ceux-là même qui achètent chaque semaine des packs d'eau minérale parce que les nappes phréatiques sont polluées ont donc manifesté avec la FNSEA, défenseur d'une agriculture productiviste et d'un agrobusiness écologiquement désastreux. Ceux-là même qui s'échinent dans les abattoirs pour un foutu SMIG ont manifesté main dans la main avec leurs patrons qui se sont enrichis éhontément grâce aux subventions européennes à l'export<strong>3</strong>. Y'avait comme une odeur d'Union sacrée ce 2 novembre dernier... Pas étonnant quand on sait que l'initiateur de la manifestation, Christian Troadec, politicien local et régionaliste notoire, plaide pour un « rassemblement large », transclassiste, de « toutes les sensibilités de la société bretonne » duquel pourrait émerger « un vrai projet d'avenir pour une Bretagne belle, prospère et solidaire ».<br />
A Quimper, ce ne sont pas les stratégies pré-électorales des régionalistes, des réacs et des autres qui ont retenu mon attention, pas plus que celles qui se manifestèrent le même jour à Carhaix dans l'indifférence quasi-générale. Non, à Quimper, j'ai le sentiment qu'il y avait davantage de désespérance, d'angoisse que de conscience de classe sous les bonnets rouges.<br />
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Ce mouvement obscurcit la compréhension des luttes chez Gad, Tilly Sabco et Marine Harvest où des ouvriers, loin des idéologies et de la doxa identitaire, luttent pour sauver leur peau, pour pouvoir manger demain. Et là, il n’est plus question d’unité entre les paysans, marins pêcheurs, ouvriers, artisans, chefs d’entreprises présents pour sauver la Bretagne. Il est question d’ouvriers qui s’organisent et luttent pour sauver leur peau et continuer à nourrir leur famille. La longue histoire de la lutte de classe, encore et toujours.<br />
Qu’ont obtenu ces ouvriers ? Au final, pas grand-chose. Une nouvelle défaite car leur usine ferme. Mais ils ont vendu chèrement leur peau, ils se sont battus et ont réussi à obtenir des primes de départ, des reclassements. 400€ de prime de départ par année d’ancienneté chez Gad : un maigre butin, évidemment, mais qui représente le double de la somme proposée au départ. Egalement obtenus : le reclassement de 80 salariés sur 187 à Marine Harvest et des primes de départ allant de 15 000€ à 94 000€. C’est déjà mieux... Plus que les primes obtenus, ces ouvriers se rappelleront, nous l'espérons, que c'est leur mobilisation qui leur a permis d'obtenir cela, et non un défilé main dans la main avec leurs patrons.<br />
L'Union sacrée, on sait où cela mène. C'est en son nom que les Poilus s'en sont allé crever du côté de Verdun et d'ailleurs, pour le plus grand profit des marchands de canon et des politiciens. On est toujours le nègre de quelqu'un...<br />
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<strong>Notes</strong><br />
1. Les théories sur les crânes humains furent développés par des médecins comme Franz Joseph Gall, Cesare Lombroso, Vacher de Lapouge ou encore Paul Broca<br />
2. Voir l’article paru dans <em>Le Monde</em> de Françoise Morvan (écrivaine, traductrice et spécialiste du folklore breton) : <em>Bonnets rouges : des dérives autonomistes derrière les revendications sociales</em> (13/11/2013). Françoise Morvan est l'auteure du <em>Monde comme si – Nationalisme et dérive identitaire en Bretagne</em> (Actes Sud/Babel, 2005)<br />
3. Je pense notamment à Tilly-Sabco producteur de poulets bas-de-gamme qui, une fois congelés, partaient pour le Moyen et Proche-Orient faire concurrence à l'aviculture locale.<br /><br />
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<strong>Nota</strong> : les camarades de Mouvement communiste ont livré leur analyse de ce qui se trame actuellement en Bretagne. Ce texte est disponible à cette <a href="http://www.mondialisme.org/spip.php?article1999">adresse</a>.</p>Jusqu'à quand ?urn:md5:2ab41593ba80795fd4082c78b0bd10bb2013-11-05T19:36:00+00:00PatsyQuestion socialeAgricultureCapitalismeJapon<p><strong>Chronique (novembre 2013)</strong><br />
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Sont-ce des ombres ? Sont-ce des hommes ? Émergeant d'un brouillard épais, on distingue à peine une silhouette, peut-être un visage, des cheveux couleur de jais et un masque blanc. Nous sommes en Chine et non en Angleterre, à Harbin et non à Londres, et ce n'est pas le fog qui obstrue notre vue, mais une intense pollution industrielle qui s'est emparée de la ville au point de la rendre irrespirable, invivable. C'est la rançon du progrès, de la croissance, du développement... non régulés, of course, parce qu'un capitalisme régulé met la pollution en normes, en chiffres, en taux, ce qui, avouons-le, rassure bien au-delà du cercle des asthmatiques.</p> <p>A Fukushima, le capitalisme régulé déprime. Pour décontaminer la région touchée par la catastrophe nucléaire, il faut traiter 120 000 hectares de terres agricoles et 600 000 bâtiments, élaguer et décontaminer des milliers d'arbres, et parallèlement trouver des lieux de stockage parce que cette foutue merde radioactive nous survivra encore longtemps ; une foutue merde radioactive dont personne ne veut, of course ! Sans oublier que tout près, la centrale menace d'exploser et que de l'eau contaminée n'en finit plus de s'infiltrer dans les sous-sols ou de se mêler à l'eau de mer.
Pour un salaire minable, des prolétaires sont invités à venir mettre en danger leur vie en accomplissant cette mission titanesque. Mal payés, peu formés, ils se débrouillent comme ils peuvent... Ne nous étonnons pas que le chantier n'aille pas aussi vite que ne le pensaient les technocrates !<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Fuku_s.jpg" alt="Fuku.jpeg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Fuku.jpeg, oct. 2013" /><br /></p>
<p>En Bretagne, le groupe GAD a licencié 900 personnes. Le volailler Doux ne se porte guère mieux et songe à virer 1000 de ses salariés. L'abattoir TillySabco a réduit de près de moitié son activité, quant à la conserverie de poissons, elle aussi bat de la nageoire. Cette branche de l'agro-business va mal, très mal. A la course au productivisme low-cost, la Bretagne ne peut pas lutter.<br /></p>
<p>Mais ne cédons pas au découragement. Si le Progrès nous a mis dans la mouise, le progrès nous en sortira ! Tout problème a sa solution, et celle-ci sera technologique, résolument moderne et audacieuse ! Il y a eu la théologie de la libération, il y a maintenant la Technologie de la libération : « La faim peut disparaître grâce à la biotechnologie, la santé est affaire de génomique, la réponse au pic pétrolier est la biologie synthétique, la solution aux « limites de la croissance » est à trouver dans la nanotechnologie, Twitter comblera le déficit démocratique et le changement climatique pourra être réglée par la géo-ingéniérie. Les hommes politiques n'auront plus à concevoir de politiques, il leur suffira de subsidier les technologies du secteur privé. »<strong>1</strong> <br /></p>
<p>A ceux qui pensent que l'agriculture française est vouée à une mort lente parce qu'elle est incapable de produire la même merde que ses concurrents à un prix de revient identique, Michel Ramery répond : soyons audacieux. Michel Ramery a fait fortune dans le BTP, dans le nord-ouest de la France, une terre touchée de plein fouet par la désindustrialisation. Ramery a décidé de faire construire dans la Somme une ferme-usine capable de produire 8 millions de litres de lait par an avec un cheptel de 1000 vaches et de 750 génisses, le tout avec comme touche écolo-durable, la construction d'un méthaniseur industriel fonctionnant à base de lisier ! Du coup, il se dit capable de fournir un lait au prix de 27 centimes le litre, soit au bas mot une dizaine de centimes de moins que les autres producteurs locaux.<br /><br />
<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.1000vaches_s.jpg" alt="1000vaches.jpeg" style="display:block; margin:0 auto;" title="1000vaches.jpeg, oct. 2013" /><br /></p>
<p>Qu'importe si nos braves bovidés seront confinés dans des espaces clos et à n'en pas douter, seront gavés de médocs pour éviter que les maladies liées à la promiscuité ne les frappent ! Qu'importe si cette ferme-usine à la mode américaine ou danoise liquide tous les producteurs alentour, incapables évidemment de s'aligner sur un prix de revient aussi bas ! Qu'importe si la réussite de ces mégas-fermes tient davantage de l'emploi d'un personnel peu nombreux et faiblement rémunéré, aux subventions reçues qu'à la rationalisation tant vantée ! Il n'y a qu'une seule pollution à prévenir en ce bas-monde : celle produites par toutes ces idées fausses, archaïques qui sont un frein au Progrès, au développement, à la croissance et au greenwashing. Amen !
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<strong>Note 1</strong>. ETC Group et Heinrich Böll Foundation, <em>La lutte des biomassters pour le contrôle de la Green Economy</em>, in Alternatives sud, Economie verte : marchandiser la planète pour la sauver ?, Syllepse, 2013.</p>L'amour est dans le prêt : Je t'aime, moi non plus (8)urn:md5:e0693ac1b5f52814197db7a16c60776a2012-09-17T06:54:00+01:00PatsyActualité internationaleCapitalismeEurope<p>Septembre 2012<br />
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Comme vous le savez sans doute, le Traité de Maastricht inclut dans l'un de ses articles une clause dite de « non-sauvetage ». En clair, les Etats membres de la zone Euro en déficit sont priés d'aller se refinancer sur le Marché, car de solidarité entre eux, il ne peut y avoir. Chacun se doit donc d'être vertueux, prévoyant et austère comme un presbytérien. L'Europe s'est construit sous le signe de l'amour, mais l'amour peut être vache et le mariage, sous contrat...</p> <p>Mais voilà, Maastricht, c'est loin. De l'eau plus que saumâtre a coulé sous les ponts, des bulles ont éclaté ça et là, des banques ont fait faillite, nos impôts ont servi à les renflouer, creusant mécaniquement le déficit public, et les Etats de la zone euro les plus fragiles se sont enfoncés dans la récession.<br />
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Depuis 2008, un spectre hante l'Europe : celui de la banqueroute. Pour la conjurer, deux options se font face : dans le premier camp, on prône la purge radicale (l'austérité) ; de l'autre, une politique de relance à base d' investissements massifs qui créent de l'activité, donc de l'emploi, donc des revenus, même si cela se paie par une hausse de l'inflation. Quatre ans ont passé et ce que l'on peut dire, c'est que la politique de la purge imposée à la Grèce ou à l'Espagne n'a pas porté ses fruits : ce n'est pas en réduisant la voilure qu'une barque souffrant d'avarie ralliera plus rapidement le port !<br />
Pourquoi cela n'a-t-il pas fonctionné ? Pour les « purgeurs », la faute en revient principalement aux gouvernements qui n'ont pas su prendre le taureau par les cornes et imposer les réformes aussi sévères que nécessaires à leurs foutus peuples ; pour les « relanceurs », les responsables sont principalement les acteurs des marchés financiers qui, pour les uns, ont peur de prêter, qui, pour les autres, profitent de la fébrilité ambiante pour spéculer à qui mieux-mieux : il faut donc ramener la confiance et faire en sorte que la zone Euro cesse d'être l'objet de la convoitise des spéculateurs. Précisons que le conflit n'est pas entre une droite néo-libérale et une gauche libérale-sociale, mais entre les gouvernements des pays non encore en récession et ceux qui le sont jusqu'au cou ou en passe de l'être.<br /></p>
<p>A la crise économique qui s'étend y compris aux Etats « sains » (comment vendre des productions à ses clients habituels quand ceux-ci sont sans le sou ?) s'ajoute des crises politiques multiformes. A ceux qui prônent une autre Europe (plus sociale et solidaire) répondent ceux qui plaident pour un repli sur le national, y compris sous ses formes les plus grégaires. La xénophobie, le racisme, l'égoïsme, les fondamentalismes divers et variés surfent sur les frustrations sociales et l'absence de perspectives.<br />
« Purgeurs » et « relanceurs » sont donc pleinement conscients que leur avenir dépend de leurs capacités à gérer dans le cadre stato-national les conséquences cataclysmiques de la financiarisation débridée de l'économie. Les « purgeurs » peuvent difficilement dire à leurs mandants qu'il va leur falloir cracher au bassinet après leur avoir imposé dans le passé quelques années de serrage de ceinture (cf. les lois Hartz en Allemagne). Les « relanceurs » peuvent difficilement faire accepter à leurs mandants une cure d'austérité alors que depuis trente ans ces derniers ont vu leurs « acquis sociaux » se déliter au nom de la compétitivité.<br />
« Purgeurs » et « relanceurs » sont donc condamnés à trouver un compromis permettant à chacun de garder la face. Il faut que chacun fasse un pas vers l'autre, mais il nous faut garder en mémoire que ce sont les premiers qui ont les cartes en mains. Eux n'ont pas la corde eu cou...<br /></p>
<p>Les récentes décisions prises au niveau européen me semble entrer dans ce cadre. En juillet et de nouveau en septembre, Mario Draghi, pour la Banque centrale européenne, a laissé entendre que la BCE allait enfin ouvrir les vannes (financières) pour ramener la confiance dans la zone euro et faire que cette dernière cesse d'être un eldorado pour les spéculateurs. Ce faisant, Mario Draghi met la pression sur les « purgeurs », en premier lieu l'Allemagne d'Angela Merkel qui, en 2011, a déjà accepté de faire une entorse à ses principes en portant sur les fonds baptismaux le Mécanisme européen de stabilité, une structure permanente et non plus conjoncturelle comme sa devancière, le Fonds européen de stabilité financière. Ce MES, embryon de solidarité financière entre Etats de la zone euro, n'a pourtant rien de révolutionnaire, bien au contraire<strong>1</strong>. Draghi met la pression sur Angela Merkel tout en sachant que la chancelière doit composer avec ceux qui refusent toute évolution du rôle de la BCE (comme le représentant de la banque centrale d'Allemagne à la BCE) et sont prêts à débarrasser la zone euro des Etats surendettés<strong>2</strong>. Il sait que la chancelière est donc fragilisée, y compris dans son propre camp qui, rappelons-le, est une coalition rassemblant conservateurs et libéraux. Mais il met également la pression parce qu'il souhaite que la BCE soit autorisée à être plus réactive, à avoir les coudées plus franches et cesse d'être sous la surveillance tatillonne de l'Allemagne.<br /></p>
<p>Mais rassurez-vous, « purgeurs » et « relanceurs » sont d'accord sur l'essentiel. Les responsables de la crise ne sont pas les faucons de la finance ou le capitalisme dérégulé, mais le « modèle social européen » trop protecteur, trop généreux. Avec « purge » ou avec « relance », nous n'échapperons donc pas aux réformes de structures...<br />
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<strong>Note</strong><br />
<strong>1.</strong> Il souligne que « l'octroi de toute assistance financière nécessaire sera subordonné à une stricte conditionnalité », en premier lieu l'adoption du nouveau traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et en conséquence l'inscription dans chaque constitution nationale de la fameuse règle d'or sur les équilibres budgétaires. Concrètement, les pays demandeurs y perdront l'essentiel de leur souveraineté budgétaire ! C'est ce que refusent certains Allemands qui ont porté plainte devant la cour constitutionnelle de leur pays et, ce faisant, retardés son entrée en action. Le jugement rendu dernièrement leur a donné tort...<br />
2. Dans <em>Die Welt</em>, le journaliste Jorg Eigendorf, opposé à une "redistribution des richesses du Nord (de l'Europe) vers le Sud (de l'Europe), fustige Mario Draghi, dit de lui qu'il "foule aux pieds les statuts de la BCE (et) fait le sale boulot des gouvernements qui, avec l'appui de la banque centrale, peuvent ralentir encore un plus le rythme des réformes"</p>Xavier Montanya, L'or noir du Nigeriaurn:md5:d662e8ac202c1416ffd1f53758ea54a02012-09-14T22:13:00+01:00PatsyNotes de lectureAfriqueCapitalismeEcologie<p><strong>Xavier Montanya</strong><br />
<em>L'or noir du Nigeria – Pillages, ravages écologiques et résistances</em><br />
Agone, 2012<br />
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Tous les géants n'ont pas les pieds d'argile. Le Nigeria est un géant d'Afrique dont on a cent fois prédit l'implosion<strong>1</strong>. Pourtant cet Etat fédéral tient. Il tient par la corruption, la violence, le clientélisme, en joint-venture avec quelques multinationales, véritables Etats dans l'Etat.<br />
Xavier Montanya, journaliste catalan auteur d'un excellent livre sur la résistance chilienne<strong>2</strong>, a enquêté cinq années durant au pays du <em>light sweet crude oil</em><strong>3</strong>, et prouve encore une fois que le pétrole, cette « merde du diable », ne fait pas le bonheur<strong>4</strong>.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Montanya_s.jpg" alt="Montanya.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Montanya.jpg, sept. 2012" /><br />
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Bienvenue dans le delta du Niger, là où il fait toujours clair puisqu'on y fait brûler le gaz 24 heures sur 24 au mépris de la santé humaine, là où l'on patauge dans l'or noir du fait des déversements « accidentels » ou criminels<strong>5</strong>. Ici règnent les multinationales et leurs hommes de main, ces compagnies de sécurité privée formés de mercenaires et d'anciens militaires qui assistent les forces armées gouvernementales dans le maintien de l'ordre. Car de l'ordre il en faut pour contenir une population qui n'en peut plus, refuse de crever sur place sans rien dire et trouve à l'occasion le chemin de la révolte pour clamer son droit à vivre en sécurité. En réponse, le gouvernement liquide des opposants, comme Ken Saro-Wiwa<strong>6</strong>, en emprisonne d'autres, en achète aussi, à l'occasion. L'impunité est totale. Et si cela ne suffit pas, les sectes évangéliques qui pullulent sur le désespoir et la misère sont là pour vendre du rêve et de la soumission. On en compte des dizaines. La religion est un business comme un autre...<br /></p>
<p>Le delta du Niger est une zone de guerre où s'affrontent armée fédérale et bandes armées, où sévissent milices privées (liées notamment à des politiciens locaux), pirates et groupes criminels ; c'est une zone de non-droit où l'Etat central et les grandes compagnies essaient de monter les communautés les unes contre les autres pour assurer leur hégémonie. Et ils ne manquent pas d'alliés. En 2009, François Fillon avait proposé que la France assure « la formation d'unités nigérianes » pour les rendre plus opératoires sur le terrain ; et d'autres, comme Zapatero et Medvedev, lui ont emboîté le pas. La « défense des intérêts de la Françafrique » méritent bien quelques cadavres, non ?<br />
Le delta du Niger, terre de mangroves, est une zone écologiquement saccagée dont les eaux et les terres arables sont souillées, et pour longtemps. Shell (dont les installations occupent la moitié de la surface du delta) et consorts entendent maximiser leurs profits et n'ont que faire de sauvegarder un écosystème fragile. Après eux, le déluge.<br /></p>
<p>« Cette merde a tout barbouillé, jusqu'au plus profond de l'âme ». Voilà ce qu'a dit à Xavier Montanya, un vieux pêcheur de Goi, un village sinistré par une marée noire « accidentelle ». <br />
A l'heure où la multinationale anglo-hollandaise, chassée du pays ogoni par la mobilisation populaire, tente de se refaire une virginité<strong>7</strong>, préalable à son retour sur ce territoire, il est plus que nécessaire de lire ce livre. Car, malgré la violence et la répression (le quart du budget de l'Etat fédéral est consacré à la « sécurité »), les jeux politiciens et l'instrumentalisation des questions « ethniques » et « religieuses », des hommes et des femmes continuent à se battre, sans relâche, pour sauver ce qui peut l'être encore de leur delta... <br />
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<strong>Notes</strong> :<br />
1. Le nord du pays, où se font face chrétiens et musulmans, s'enflamme périodiquement. Dans le delta, zone pétrolière de premier plan, les conflits socio-politiques (qu'on qualifie trop facilement d'« ethniques ») sont légion.<br />
2. <a href="http://atheles.org/agone/memoiressociales/lesderniersexilesdepinochet/">''Les derniers exilés de Pinochet''</a>, Agone, 2009.<br />
3. Autrement dit, le Nigeria regorge d'un pétrole brut et léger très recherché par les multinationales car plus facile à travailler que d'autres.<br />
4. Lire à ce propos, Luis Martinez, <em>Violence de la rente pétrolière – Algérie, Irak, Libye</em>, Presses de Sciences Po, 2010.<br />
5. Le <em>gas flaring</em> (rejet du gaz brûlé dans l'atmosphère) est interdit depuis 1984 (sauf autorisation ministérielle) mais il se pratique systématiquement ici. Les déversements accidentels sont liés à des sabotages (qui alimentent le marché parallèle), mais tout aussi souvent à l'absence d'entretien des oléoducs et au peu d'intérêt (énorme euphémisme !) porté par les multinationales aux questions d'environnement.<br />
6. Lire Ken Saro-Wiwa, <em>Si je suis encore en vie... - Journal de détention</em>, Stock, 1996. Ken Saro-Wiwa a été pendu avec huit autres militants ogonis le 10 novembre 1995. Militant non-violent, il était accusé d'avoir fait tuer quatre politiciens ogonis proches de Shell.<br />
7. Pour éviter un procès public aux Etats-Unis, Shell a proposé en 2010 de verser 15 millions de dollars aux familles des neuf victimes. Celles-ci ont accepté...<br />
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<strong>Cette note a paru dans le n°227 (février 2013) de Courant alternatif</strong></p>Un lapsus révélateur (quoique...)urn:md5:da06f76cf93ddb6ffa04c4a1986c73d72012-09-06T23:13:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalisme<p><strong>Septembre 2012</strong><br />
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Jeudi 6 septembre vers les 20h, alors que je faisais comme d'hab' ma vaisselle (je ne fais relâche que le 8 mars), j'ai entendu un journaliste de France Info commettre un délicieux lapsus.<br />
Rappelons le contexte. Ce jeudi-là, Mario Draghi, patron de la Banque centrale européenne, annonce que cette austère institution toute entière vouée à la lutte contre l'inflation a décidé de voler au secours des pays européens lourdement endettés. Par quel moyen ? En promettant d'acheter le cas échéant mais de façon illimitée une partie de leurs dettes souveraines. Dans quel but ? Rassurer les marchés qui ont, comme chacun le sait, le trouillomêtre à zéro, et empêcher les méchants de spéculer sur la capacité des pays faibles de la zone euro à sortir la tête de l'eau. Ce faisant, les Etats en faillite virtuelle peuvent espérer enfin avoir la possibilité de se refinancer à des taux moins prohibitifs. En faisant cette annonce, en « laissant entendre que... », Mario Draghi envoie un message au Marché : si vous poussez le bouchon trop loin, la BCE interviendra et mettre fin à la curée, non mais !</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.speculation_s.jpg" alt="speculation.jpeg" style="display:block; margin:0 auto;" title="speculation.jpeg, sept. 2012" /><br />
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A la fin de son exposé, le journaliste eut alors ces mots (de mémoire) : "Voici une décision de nature à rassurer les spéculateurs". Funny, isn't it ? Sa langue a fourché : au lieu de dire "investisseurs", il a dit "spéculateurs" ! Il a confondu les deux ! Pourtant la différence est importante : <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/11/07/L-amour-est-dans-le-pr%C3%AAt-%3A-la-bourse-ou-la-vie-%284%29">le spéculateur est méchant, l'investisseur, non</a>.<br /></p>
<p>Bref, v'là ce qu'il faut comprendre pour ce qui est des pays membres de la zone euro.<br />
Un Etat pour vivre, investir, a besoin d'argent. Quand les impôts ne le comblent pas entièrement, il s'en va chercher de la fraîche sur le marché en proposant à qui n'en veut des sortes d'obligations à court, moyen ou long terme. Avant, il demandait à sa banque centrale de faire marcher la planche à billets ; ça créait du même coup de l'inflation. Aujourd'hui, dans la zone euro, il n'y a plus qu'une banque centrale, la Banque centrale européenne, et celle-ci a comme fonction principale de veiller à ne pas créer une spirale inflationniste ; à l'inflation, elle préfère l'austérité. Bref, faire marcher la planche à billets n'est pas dans son ADN ordo-libéral. En conséquence, les Etats endettés sont sommés d'aller chercher le pognon ailleurs, autrement dit sur le Marché.<br /></p>
<p>Si sa situation économique est saine, les investisseurs sont contents et achètent des obligations à des taux non usuraires ; dans le cas contraire, de peur que l'Etat ne les remboursent pas, nos investisseurs soupçonneux exigent des taux d'intérêt plus élevés, histoire de se refaire la cerise plus rapidement, ou bien ils s'en vont investir ailleurs leur pognon, en tes territoires moins risqués. C'est ce qui se passe en ce moment avec la Grèce principalement, voire l'Espagne ou encore l'Italie.<br />
Depuis plusieurs années, une partie des gouvernements de la zone euro, y compris la France sarkozienne, plaidait pour que la BCE intervienne de façon plus déterminée et surtout constante afin de limiter les effets de la crise. Au nom de l'Allemagne, Angela Merkel s'y est farouchement opposée. Elle ne veut pas que l'exception (achat d'obligations bancaires en 2007 et de dettes publiques en 2010) devienne la règle. Elle exige que chacun mette de l'ordre chez lui, autrement dit impose à ses citoyens des réformes structurelles aussi drastiques qu'impopulaires.<br /></p>
<p>Comment analyser cette décision de la BCE. Est-ce une révolution ? Non. Est-ce la poursuite du statu-quo ? Non plus. Il me semble que cela prouve que le curseur est en train de bouger lentement, très lentement, l'important étant qu'aucun des acteurs de la zone euro ne perde la face puisque François Hollande a fait de sa volonté de contraindre la BCE à assouplir sa position un des thèmes forts de sa campagne, et Angela Merkel a fait la promesse inverse à son électorat.<br />
Les gouvernements favorables à ce projet pourront dire à leur petit peuple que leurs efforts sont en train de payer : austérité il y aura, mais moins dure elle sera. Ceux qui s'y opposent, comme l'Allemagne principalement, mettront davantage l'accent sur les contreparties exigées par la BCE pour qu'elle intervienne. Ensuite, tout sera affaire de rapport de forces entre gouvernements et au sein de la BCE, donc de la capacité des gueux à peser sur « leurs » dirigeants...<br />
<br /></p>L'Uruguay soigne ses pauvresurn:md5:8bd8cb834ceab4044066afdefe8fc0c72012-01-11T12:25:00+00:00PatsyActualité internationaleCapitalismeUruguay<p><strong>Chronique n°12 (01/2012)</strong><br /></p>
<p>J’aurais pu vous parler du tendre penchant de Nicolas Sarkozy pour l’idéal coopératif. J’aurais pu vous entretenir de sa nouvelle passion pour la soi-disant sulfureuse taxe Tobin. J’aurais pu vous dire deux mots de François Hollande et de son pèlerinage à Jarnac, en Terre sainte mitterrandienne. Mais comme je n’ai pas que cela à faire, je préfère vous parler de choses sérieuses, le genre de celles qui ne font jamais la Une de l’actualité.</p> <p>Je vous emmène donc en Uruguay, un paradis fiscal, où depuis un septennat le pouvoir est détenu par la gauche, une gauche incarnée aujourd’hui par José Mujica, un ancien Tupamaro, autrement dit un ancien membre d’une guérilla d’extrême gauche qui fit parler d’elle dans les années 1960 et 1970, lorsque la plupart des pays d’Amérique latine était aux mains des militaires et de la CIA. Mujica a connu la prison, la torture avant d’abandonner la voie si difficile de la lutte armée pour celle de la démocratie bourgeoise. Depuis 2009, l’ex-guerillero, fleuriste de profession, est devenu président de la République de ce petit Etat d’Amérique du sud, peuplé de 4 millions d’habitants.<br /></p>
<p>Après sept années de gestion « de gauche » du pays, il est bon de savoir si, au quotidien, la vie des Uruguayens a changé. La réponse est mitigée. <br />
Concernant l’agriculture, en une décennie, les multinationales du papier ou du soja ont mis la main sur 15% de la superficie agricole du pays, et ce processus d’accaparement s’est accompagné d’une flambée des prix : autrement dit, l’accès à la terre est devenu quasi impossible pour le paysan uruguayen. Côté industrie, l’Uruguay attire également les convoitises les convoitises des multinationales puisque son sol regorge de fer. Or l’extraction du fer et son exportation ne va pas sans créer des tensions multiples entre le pouvoir et ceux qui l’accusent de brader les richesses naturelles du pays ou ceux qui pâtissent concrètement des travaux afférents à cette activité. <br />
Bref, les optimistes diront que l’Uruguay est sur la voie du développement, d’autres souligneront que le pays se met sous la coupe des multinationales puisque les secteurs les plus dynamiques de son économie sont portés par des groupes non-nationaux.<br /></p>
<p>Mais le plus intéressant est l’offensive lancée par le pouvoir contre les pauvres. Au nom de la lutte contre l’insécurité urbaine et le trafic de drogue, on en vient même à vouloir prohiber la mendicité, arguant que des politiques sociales existent pour soulager la misère et qu’en conséquence faire appel à la charité privée est devenue inutile. Cette politique de pénalisation de la pauvreté n’a qu’un seul but : rassurer la majorité de la population, autrement dit les classes moyennes, celles qui votent et entendent jouir des bienfaits de la société de consommation sans être ennuyées par les pauvres et leurs incivilités chroniques. Des pauvres incapables de faire les efforts nécessaires pour sortir de la pauvreté. Des mauvais pauvres, en somme, pas assez méritants et reconnaissants, incapables de faire là où on leur dit de faire. Des pauvres qui ne font plus peur, malheureusement pour eux.</p>L'amour est dans le prêt : le micro-crédit (7)urn:md5:762bc680e02d1eb027dddba4294d86e82011-12-12T22:28:00+00:00PatsyQuestion socialeCapitalisme<p><strong>Chronique n°10 (décembre 2011)</strong><br />
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Dominique de Villepin sera donc le 927e candidat à vouloir notre bonheur à l'occasion de la foire électorale du printemps prochain. C'est fou le nombre de gens prêts à se sacrifier pour nous et notre triple A ! Mais, comme le soulignent certains commentateurs, trouvera-t-il les moyens financiers de son ambition ? Car sans pognon, pas de campagne, pas d'affiches en couleur, pas de zénith loués, pas de show à l'américaine : rien, nada, que dalle ! Heureusement, il lui reste le micro-crédit.</p> <p>Il y a une décennie, nous apprenions que pour sortir de la pauvreté et du sous-développement, il suffisait de donner aux gens les moyens de se faire auto-entrepreneur. Car en chacun de nous sommeille un self-made man, c'est bien connu. <br />
Main dans la main, grosses ONG et Banque mondiale entendaient ainsi convertir le petit peuple aux joies de la toute petite entreprise. Pour cela, il suffit de lui prêter de l'argent, mais pas beaucoup, et de lui imposer des taux d'intérêt très élevés voire prohibitifs, ce qui les aide à se responsabiliser. Soulignons cependant pour être honnêtes que ces taux d'intérêt demeuraient bien moins élevés que ceux pratiqués par les usuriers locaux. C'est pourquoi le micro-crédit a eu tant d'émules.<br /></p>
<p>L'avantage avec le pauvre, c'est qu'il paie. Le pauvre a pour principal souci de ne pas s'aliéner son créancier car il sait fort bien qu'il dépend de lui pour l'octroi d'un autre prêt ; et s'il n'est pas responsable, il devra prendre un crédit auprès d'un autre créancier avec des taux encore plus élevés. Bref, pour le créancier, le risque est limité : il prête beaucoup de petites sommes à beaucoup de pauvres qui, dans l'immense majorité, remboursent dans les temps, intérêts compris. Mais quand un risque est limité, il attire les convoitises. Il n'a pas donc pas fallu attendre longtemps pour voir les banques s'intéresser de près à ce micro-crédit si rémunérateur. Via des structures spécialisées, elles se mirent donc à prêter, et à prêter à tort et à travers, sans se soucier de la réelle destination de son argent et de la capacité de l'emprunteur à honorer ses dettes dans le futur. Elles se mirent aussi à se faire la guerre entre elles pour capter la clientèle, en proposant des taux d'intérêt plus attractifs, donc moins rémunérateurs pour elles et conséquemment plus risqués en cas de hausse des impayés. Et puis, pour limiter leurs frais de fonctionnement, elles se mirent à délaisser les campagnes, pourtant riche en crêve-la-faim pour se concentrer sur les villes où le secteur informel est plus vivace. Car, voyez-vous, certaines institutions de micro-crédit ou de micro-finance sont cotées en bourse et ont des compte à rendre à leurs actionnaires, des actionnaires qui ne sont pas des philanthropes mais des investisseurs soucieux de s'enrichir ! Ils entendent maximiser leur retour sur investissement et se foutent comme d'une guigne de savoir si le commerce de détail de Mme X ou le pousse-pousse de Mr Z a permis à leur famille respective de sortir de la pauvreté ! Business is business !<br /></p>
<p>Ce qui devait arriver arriva. Comme les pauvres, voyez-vous, empruntent pour se nourrir, payer la scolarité ou la dot des enfants, et pas toujours pour investir dans une petite affaire commerciale, ils se sont retrouvés surendettés. Mécontents, certaines institutions de micro-crédit ont alors confié à des agences de recouvrement ou aux usuriers locaux, leurs concurrents initiaux, le soin de faire pression sur les mauvais payeurs. D'autres institutions ont tout simplement fait faillite. Les Etats en ont conclu qu'il fallait donc réguler, c'est-à-dire mettre un frein à la cupidité des investisseurs.<br /></p>
<p>Et De Villepin dans tout ça ? Jadis, du temps de sa splendeur matignonnesque, il nous inventa le Contrat nouvel embauche et le Contrat Première embauche, des sortes de CDI dont la période d'essai s'étendait sur deux ans et dont la rupture par l'employeur ne dépendait que de son bon vouloir. Aujourd'hui, il se dit révolté par le fait que la France soit, je cite, « humiliée par la loi des marchés qui impose de plus en plus d'austérité ». Je pense que les institutions de micro-crédit devraient soutenir Dominique de Villepin car celui-ci démontre, en tant qu'auto-entrepreneur politique, une grande capacité d'adaptation au marché politicien d'aujourd'hui.</p>L'amour est dans le prêt : le meilleur des mondes (5)urn:md5:4bd3c0bfd69615b80027173135314e9e2011-11-30T12:34:00+00:00PatsyActualité internationaleCapitalismeEurope<p><strong>Chronique n°8 (décembre 2011)</strong><br />
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Souvenez-vous. Nous sommes en 1984, à Douaumont, devant le monument aux morts honorant comme il se doit les victimes de la Grande Boucherie de 1914-1918. Là, François Mitterrand colle sa mimine d’ancien partisan de l’Algérie française dans celle de Helmut Kohl, chancelier de la Bundesrepublik. Que notre président d’alors semblait petit aux côtés de son alter ego allemand, avec son double-mètre et son quintal. Mais avouons-le, l’image avait de la gueule, témoignant de la volonté indéfectible de l’Etat français et de l’Etat allemand de s’unir pour le meilleur en conjurant le pire.</p> <p>Souvenez-vous. Nous sommes en novembre 2011, à Cannes, dans le cadre du G 20. Là, Nicolas Sarkozy pose sa mimine d’ami intime de Claude Guéant sur l’épaule d’Angela Merkel. Que notre président semble fatigué et abattu aux côtés de la nouvelle Dame de fer de l’Europe libérale.<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Sarko_s.jpg" alt="Sarko.jpeg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Sarko.jpeg, déc. 2011" /><br /></p>
<p>Tout ça à cause des Grecs. Car bien sûr les Grecs sont en cause. Du balayeur à l’ouvrier, de la secrétaire à l’enseignant, le Grec a fait des dettes et doit les rembourser. Et il doit d’autant plus le faire qu’il a menti sur l’état de son compte en banque. Logique puisque « L’Etat, c’est nous » comme l’on dit en démocratie bourgeoise. D’une certaine façon, c’est vrai. Ce sont les Grecs qui, par le sacro-saint bulletin de vote, ont mis au pouvoir depuis des décennies des politiciens, de gauche ou de droite, pour qui la politique est une carrière bien plus qu’un sacerdoce.<br />
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Mais ce temps-là est révolu. Si les politiciens ne sont pas capables de prendre leurs responsabilités, c’est-à-dire d’appliquer avec froideur les réformes indispensables à la survie d’un système inique, il faut faire en sorte de les remplacer par des animaux à sans froid. Et le serpent en est un.<br />
Exit donc Georges Papandréou et Silvio Berlusconi. Place à Lucas Papademos et Mario Monti. Le premier fut vice-président de la Banque centrale européenne, le second, membre de la Commission européenne à deux reprises. L’Europe est une chose trop sérieuse pour être confiée à des bateleurs de foire qui n’ont en vue que la prochaine échéance électorale ; il convient donc de remettre son destin entre les mains de super-technocrates, du type reptile, capable de vous étouffer, de vous tétaniser ou de vous liquider sans sourciller et sans état d’âme avec leurs plans d’austérité. Et la police sera là pour veiller à ce que les peuples restent à leur place : celle de victimes.<br /></p>
<p>Le règlement de la crise des dettes souveraines passe ainsi par la mise sous surveillance, voire la mise sous tutelle des Etats défaillants de la zone Euro, en cas de non-respect du sacro-saint pacte de stabilité. Pour la première fois dans l’histoire, si je ne m’abuse, des Etats européens vont subir ce que les grands de ce monde, via le FMI et la Banque mondiale ont imposé et imposent encore sur tout le globe à de plus faibles qu’eux : un bon vieux plan d’ajustement structurel. Autrement dit, liquidation des services publics (enseignement, santé), privatisation des entreprises publiques, suppression des aides à l’agriculture et opérations portes ouvertes pour les investisseurs du monde entier dont on connaît l'empathie pour les gueux. Le meilleur de leur monde, en somme.</p>Chine : jusqu'à l'indigestionurn:md5:92e7796f347cafa79f9922b0a7c9cfd32011-11-22T06:37:00+00:00PatsyQuestion socialeAgricultureCapitalismeChine<p>Chronique n°7 (novembre 2011)<br />
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Le matin, il commence par boire un bon bol de lait à la mélamine avec deux petits pains blanchis au sulfure et une tranche de jambon issu de porcs nourris au clenbutérol, un anabolisant qui fait la joie de certains sportifs. Il coupe ensuite un œuf de cane dont le jaune est coloré au rouge soudan, qu’il mange avec deux morceaux de pain produit avec de la levure toxique.</p> <p>Pour midi, il achète du poisson nourri aux pilules contraceptives, des germes de soja à l’urée, des tomates aux accélérateurs de croissance, du tofu au plâtre, du gingembre toxique, une soupé épicée aux anti-diarrhéiques, sans oublier une portion de faut bœuf teinté avec un additif toxique. Il peut boire également une bouteille d’alcool frelaté au méthanol et déguster des petits pains au sulfure, voire même se griller une cigarette contenant du mercure.<br />
Voici en gros ce qu’a écrit Xie Yong, un universitaire chinois sur son blog. Il aurait pu également parler de ces pastèques qui explosent sans crier gare quand on les booste au forchlorfénuron, des huiles frelatées que l’on recycle, du poulet aux nitrites, du poivre coloré au rhodamine B, etc etc.<br />
La multiplication des scandales alimentaires en Chine a de quoi inquiéter. Inquiéter les consommateurs qui peuvent être ou sont parfois les victimes à court ou long terme de ces pratiques culturales. Inquiéter également les autorités chinoises qui ont promis de remettre de l’ordre dans le capitalisme débridé chinois. Mais entre les proclamations de foi et les actes, il y a, vous le savez bien, des béances.
Dans le système chinois, un bureaucrate ne peut espérer gravir les échelons que s’il est capable de prouver à ses supérieurs que la politique qu’il a appliquée a renforcé la compétitivité du pays, a permis aux entreprises de produire plus pour satisfaire la demande intérieure ou faire entrer des devises via l’exportation. Un bureaucrate a l’âme d’un comptable. Il a besoin de chiffres qui parlent d’eux-mêmes, même si, vous le savez bien, on peut faire parler les chiffres à leur place. En conséquence, notre bureaucrate aura davantage tendance à étouffer un scandale et à s’asseoir sur le principe de précaution ou la sécurité alimentaire, car ça, ce n’est pas encore politiquement rentable. Si cela le devient, il brûlera son idole d'hier au nom de la nouvelle donne idéologique du moment. Mais que le capitalisme chinois s’assoit sur le principe de précaution, cela n’est pas pour nous étonner. Après tout, il n’y a aucune raison qu’un capitaliste chinois soit plus vertueux qu’un capitaliste européen, nord-américain, indien ou australien. Business is business, avec ou sans livre rouge.<br /></p>
<p>Ce qui a fait scandale récemment, c’est également la découverte que dans l’est de la Chine, certaines administrations publiques se sont constituées des filières spéciales d’approvisionnement en produits biologiques, en les finançant avec des fonds publics destinés au développement d’une agriculture plus saine. Tandis que le peuple doit se contenter de ce qu’il trouve sur les étals des marchés, les apparatchiks, eux, se gavent de produits sains.<br />
Louis XIV clamait, dit-on, « L'Etat, c'est moi ». Les bureaucrates répondent : « L'Etat, c'est nous » ! Et cela m'a rappelé ces mots de Milovan Djilas, communiste yougoslave envoyé par Tito en prison pour sa critique du système : « Les vices de la nouvelle classe <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/11/22/bureaucratique" title="bureaucratique">bureaucratique</a> : l'ambition déchaînée, la duplicité, l'art consommé de nager entre deux eaux, la jalousie féroce. Leur résultante, l'arrivisme et l'expansion illimitée de la bureaucratie, sont les maladies incurables du communisme (…) les communistes ont fait de l'ambition sans scrupule un des traits dominants de leurs moeurs et de leur méthode de recrutement, mais en même temps un des facteurs de leur dynamisme social. » Il a écrit cela en 1957 (<em>La nouvelle classe dirigeante</em>, Plon).</p>L'amour est dans le prêt : la bourse est le pouls (4)urn:md5:bbefd0be4469841e87c2e1f183de4eb02011-11-07T23:06:00+00:00PatsyQuestion socialeCapitalisme<p><strong>Chronique n°5 (novembre 2011)</strong><br />
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Il fut un temps où sur le Vieux continent, à la City de Londres par exemple, on faisait de l'argent avec de l'argent mais avec élégance, en devisant chastement de l'avenir du monde libre à l'heure du Tea Time. Sur le marché des actions, le strict cloisonnement des fonctions limitait les conflits d'intérêts. Il y avait des sociétés de bourse, des maisons de courtage, des banques d'affaires, chacune faisant son travail, chacune restant à sa place.</p> <p>Et puis tout a changé quand les bourses du Vieux continent, du fait de l'ouverture des marchés à la concurrence, se sont alignées sur les pratiques en vogue de l'autre côté de l'Atlantique, chez l'Oncle Sam, là où l'herbe est toujours plus verte même quand elle n'est pas synthétique. Il fallait que l'argent circule de plus en plus vite, frénétiquement, voilà tout ; et pour cela il fallait décloisonner les marchés et déréglementer. S'est ouvert alors le règne des conglomérats bancaires intervenant dans plusieurs métiers : la banque traditionnelle, la banque d'investissement et l'assurance. S'est ouvert alors le règne des fonds d'investissements, des raids boursiers, du financement des fusions-acquisitions, des prêts pourris et toxiques, des délocalisations boursières ; le règne du court-terme. On ne boit plus le thé le petit doigt en l'air aujourd'hui, on décapsule une bière avec les dents comme on le ferait avec une grenade. Aujourd'hui, les spéculateurs, les banquiers et autres philanthropes règnent sur le monde, imposent leurs lois avec la connivence des gouvernements acquis à la doxa néo-libérale. On se croirait revenu au milieu du 19e siècle. Car écoutez plutôt ce qu'écrivait en 1857 le vieux Pierre-Joseph Proudhon dans son <em>Manuel du spéculateur</em> : <br />
« Que le gouvernement fasse des lois contre les associations, les réunions, les attroupements ; qu’il interdise à la presse la discussion de ses actes ; qu’il prévienne et réprime, par des avertissements officieux et officiels, jusqu’aux velléités d’opposition ; qu’il prétende dominer ce qu’il y a de plus indomptable, l’opinion, et donner le mot d’ordre à l’esprit public comme à ses préfets : il ne peut empêcher que chaque jour, à heure fixe, au centre de Paris, trois ou quatre mille individus, ardents, turbulents, passionnés, se réunissent en une sorte de club où se débattent les plus hautes questions de la politique et de l’économie, la protection et le libre échange, la paix et la guerre, la confiance et la crise. (…) si l’on considère les puissants intérêts qui s’agitent dans cette assemblée, dette de l’État et des communes, banques et institutions de crédit, canaux et chemins de fer, navigation fluviale et maritime, assurances, mines, forges, filatures, raffineries, usines, biens meubles et immeubles, on peut dire que l’élite de la nation, le pays légal, comme on l’appelait sous le dernier roi, se trouve à la Bourse. Les principes qui régissent la société, son esprit, sa conscience, ses idées sur le juste et l’injuste, viennent se résumer dans ce sommaire. (…) La puissance nouvelle, la féodalité boursière a tout envahi, tout remplacé ; elle seule a le privilège de soulever les passions, d'exciter l'enthousiasme et la haine, de faire battre les cœurs, de relever la vie. C'est pour elle que l'armée veille, que la police fonctionne, que l'université enseigne, que l'église prie, que le peuple travaille et sue, que le soleil éclaire, que les moissons mûrissent, que tout pousse et fructifie. Son esprit envahit l'Europe entière. »<br /></p>
<p>Et le vieux Proudhon nous livrait cette sentence qui a gardé toute son actualité : « La Bourse est le pouls que doit palper le pathologiste afin de diagnostiquer l’état moral du pays. (…) Sommes-nous tous gangrenés ou reste-t-il quelques âmes saines ? »<br />
<br /></p>L'amour est dans le prêt : vivre à crédit (2)urn:md5:5afb5506d3976d2d3ef3403f1c3954fd2011-10-18T06:49:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalismeEurope<p><strong>Chronique n°3 (octobre 2011)</strong><br />
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En 1992, l'honnête citoyen français s'est rendu dans l'isoloir pour dire si oui ou non il acceptait que la France ratifie le Traité de Maastricht. Et par une courte majorité, le oui l'a emporté. Ce fut donc la victoire du Marché libre, de l'Euro et de la Paix puisque, vous le savez tous, nous oeuvrons pour l'amitié entre les peuples en soutenant l'Europe libérale ; alors que les anti-Européens, eux, sont des grégaires nationalistes à front bas ou des communistes mal dégrossis, voire les deux.</p> <p>Avouons-le, pas grand monde n'a eu le courage de lire le traité en entier. Personne ne vous en fera le reproche, rassurez-vous. On ne peut obliger le citoyen ordinaire à comprendre tout ce que pondent les juristes appointés. On lui demande juste de déposer sa crotte dans l'urne une fois de temps en temps. Cela s'appelle faire son devoir civique ou choisir son bourreau pour reprendre le bon mot d'Octave Mirbeau. Mais bon, passons...<br /></p>
<p>Depuis, l'Europe s'est construite, agrandie, dans la joie, la bonne humeur, la destruction des services publics et la précarité sociale. Mais que ne ferait-on pour le Marché libre, l'Euro et la Paix ?<br />
Pour attirer les capitaux étrangers, développer leur économie nationale, les différents pays composant l'Union ont choisi leurs armes : tourisme pour les uns, industries de pointe pour d'autres, dumping fiscal et social pour certains en s'appuyant sur la monnaie unique. C'est intéressant le dumping, parce que ça attire le pdg de multinationales qui veut bien être philanthrope et passé à la télé, à condition qu'on ne lui ponctionne pas trop d'impôts. Certes, ça soustrait au voisin des recettes fiscales, mais qui a dit que la Paix et la guerre économique était antinomique ? La Paix, c'est bon pour les soirées électorales où l'on a une main sur le coeur et l'autre sur le paquet de mouchoirs en papier, où l'on regarde l'électeur droit dans les yeux en chevrotant : « Nos grand-pères sont morts dans les tranchées de Verdun, nos pères ont subi l'Occupation et le Nazisme. Que désirez-vous pour vos enfants ? La perspective d'une nouvelle guerre sur le sol européen ou la Paix sous les bons auspices du Marché auto-régulé ? »<br /></p>
<p>Hors des périodes électorales, la question se pose de façon moins sentimentale. Faut être prosaïque quand on fait du business. On attrape pas des mouches avec du miel. Le pognon, faut aller le chercher là où il est, et pour ça, faut pas être bégueule et emmerder le capitaliste avec des mots comme solidarité, aménagement du territoire, justice sociale ou je-ne-sais-quoi d'autre. Le capitaliste ne fait pas là où on lui dit de faire. Il va là où est son intérêt, et partira de là si tel est son désir.<br />
L'Europe qui se construit n'est pas celle de la solidarité. Chaque Etat qui la compose est en guerre contre son voisin et se bat avec ses armes, notamment parce qu'il a des comptes à rendre régulièrement au bon peuple citoyen qui pose sa crotte régulièrement dans l'urne. <br />
L'Europe n'est donc pas celle de la solidarité et c'est écrit dans les textes. Ainsi, les Etats européens endettés ne peuvent avoir recours à la Banque centrale européenne pour financer leur déficit. En conséquence de quoi, les Etats endettés sont sommés d'aller chercher le pognon ailleurs, autrement dit sur le Marché. Et le Marché applaudit, parce que spéculer sur la dette d'un Etat souverain, ça rapporte parce qu'on peut jouer alors sur les taux d'intérêt : « J'ai le pognon, t'en as besoin, je fixe les conditions, tu les acceptes ou tu crèves. » C'est du donnant-donnant, autrement dit du gagnant-perdant. Aux Etats ensuite de convertir leur bon peuple citoyen aux joies de la rigueur, de l'austérité, de la diète. Et qui dit diète, dit purge. Car la crise de la dette offre la possibilité de liquider tout ce qu'il peut rester de filets sociaux de protection mis en place depuis un demi-siècle.<br />
L'amour n'est décidément pas dans le prêt...</p>L'amour est dans le prêt : vivre à crédit (1)urn:md5:9104b7678f55fb602fb0adb1abab2a222011-10-08T18:12:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalisme<p><strong>Chronique n°2 (octobre 2011)</strong><br />
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L'économie, c'est pas mon truc. Je n'y comprends rien, ou pas grand chose. C'est plein de chiffres, de courbes, de bidules et de machins, d'actifs toxiques et d'effets de levier, de Hedge funds et de Mutual funds. C'est plein de bulles aussi, qui explosent à l'occasion, laissant le gueux tout déconfit, recroquevillé sur son bas-de-laine.</p> <p>En fait, la seule chose qui me réconforte est de savoir que les « meilleurs économistes et analystes » eux-mêmes n'y comprennent pas grand chose. Quand je dis « meilleurs », je parle évidemment de ceux qui squattent les plateaux télé. La crise ? Rien que le mot les faisait se tordre de rire ! Et puis, la crise, celle des subprimes, est arrivée, et ils se sont tus, un temps. Il faut savoir se faire discret, parfois.<br /></p>
<p>Lors de la dernière campagne électorale, celui qui allait devenir le président de notre République s'était fait l'ardent défenseur de l'endettement des ménages. S'endetter était la preuve qu'on avait confiance dans l'avenir. Et puis les marchandises sont faites pour être achetées, avalées, déféquées ! N'est-ce pas pour cela que l'on trime chaque jour ? N'est-ce pas pour cela qu'on a inventé les soldes d'été, les soldes d'hiver, les soldes de printemps voire les soldes d'automne et les hard-discount ? <br />
Nicolas Sarkozy, l'ami des amis de Monsieur Takieddine, avait raison. Ou plutôt, les chiffres lui donnaient raison. Alors qu'en 2007, en France, le taux d'endettement en pourcentage du revenu disponible se montait à 70%, il était aux Etats-Unis de 138%, en Irlande de 176%, au Royaume-Uni de 145% et en Espagne de 115%. Concrètement, dans la France de 2007, le citoyen lambda ne vivait pas suffisamment au-dessus de ses moyens. Tel un gagne-petit au pardessus élimé, telle la fourmi de la fable, le citoyen lambda de l'hexagone épargnait. Certes, le taux d'endettement en pourcentage du revenu disponible étant passé en quatre années de 56% à 70%, nous pouvons considérer que nous étions alors sur la bonne voie, la libérale ; mais cela était-il de nature à rassurer les secteurs recherche et développement des usines à rêves consuméristes ? Non, assurément pas.<br /></p>
<p>Il nous faut consommer de tout et du n'importe quoi, de l'essentiel et du futile, pour vivre tout simplement ou rester dans le vent. Dans le passé, les bourgeois faisaient l'éloge de l'épargne. Sou après sou, le salarié se constituait un petit capital susceptible de lui permettre, à moyen ou long terme, de devenir propriétaire, de se meubler, du toucher du doigt la modernité. Ce temps-là est révolu. Il n'est plus question d'attendre, il nous faut jouir sans entraves : le crédit à la consommation est là pour satisfaire nos besoins, voire notre désir d'ascension sociale individuelle. Il nous tend les bras pour mieux nous enserrer. Le crédit s'est démocratisé, devenant même une fin en soi pour le système bancaire. Quand tous les voyants sont au vert, que le chômage est résiduel et que les luttes sociales permettent une amélioration régulière des salaires, la joie règne dans les foyers et dans les bureaux feutrés des banques et sociétés de crédit. Car le banquier s'étiole quand l'argent dort sur les comptes en banque. Mais quand survient la crise, alors le collet se resserre autour du cou des cigales endettées soudainement mises dans l'impossibilité d'honorer leur dettes. Aux Etats-Unis comme ailleurs, la pression sur les salaires est devenue l'indispensable compagnon du crédit à la consommation. Ce que le salaire ne permet plus de s'offrir, le crédit, lui, le permet.<br /></p>
<p>Il n'est plus question d'attendre, disais-je. Je me dois d'ajouter qu'il n'est même plus possible d'attendre. Le crédit, hypothécaire et revolving, est devenu une condition de la survie pour nombre d'entre nous.
Si l'amour est dans le prêt, il n'est pas dans le crédit.</p>La trahison des éditeursurn:md5:c11a673c1246f8545545149c6fd142702011-09-14T20:11:00+01:00PatsyNotes de lectureCapitalismeIntellectuels<p>Thierry Discepolo<br />
<strong>La trahison des éditeurs</strong><br />
<a href="http://atheles.org/agone/contrefeux/latrahisondesediteurs/index.html">Agone</a>, 2011, 205 p.<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Discepolo_s.jpg" alt="Discepolo" style="display:block; margin:0 auto;" title="Discepolo, sept. 2011" /></p> <p><br />
Avouons-le tout de go : chroniquer le livre d'un ami est une chose difficile. Elle l'est d'autant plus que l'ami en question est le premier à vouer aux gémonies les journalistes et auteurs qui s'encensent réciproquement. Vous voilà prévenus : Thierry Discepolo est un ami dont j'apprécie les qualités (innombrables) et même les défauts (mais en a-t-il, au fond ?<strong>1</strong>)...<br /></p>
<p>Lorsque j'ai appris qu'il s'était lancé dans l'écriture d'un ouvrage sur le monde de l'édition, j'avoue avoir eu peur. Peur qu'il nous délivre un pamphlet nourri de petites phrases assassines<strong>2</strong>. Peur qu'il ne règle ses comptes en nous prenant à témoins. J'avais tort, et c'est tant mieux.<br />
Amoureux des livres, écrivain à mes heures, et éditeur à l'occasion, je fais partie de ces personnes pour qui le métier d'éditeur est l'un des plus beaux du monde. Trouver un auteur inconnu et le faire connaître, aider un auteur à accoucher d'une oeuvre, même modeste, dénicher un vieux texte oublié et le faire revivre, honorer le papier à l'heure du tout numérique et de l'image-reine, n'est-ce pas là un beau sacerdoce ? On en oublierait presque que le monde de l'édition est un monde peuplé de nombreux requins, financiers, narcissiques et margoulins.<br /></p>
<p>Thierry Discepolo, fondateur des éditions Agone (Marseille), s'en prend tout d'abord à une idée largement répandue : le monde de l'édition verrait s'opposer les grands groupes de communication, incarnation du Mal (comme Hachette), aux groupes éditoriaux, tel Gallimard, pour qui le livre serait une passion autant qu'un métier. Les premiers, les yeux rivés sur les lignes comptables, vendraient de tout, en masse et n'importe où, tandis que les seconds, coeur pur et âme vagabonde, auraient opté pour la qualité éditoriale et la préservation des librairies indépendantes, ces lieux où l'on achète des livres et non du papier broché. <br />
Pour l'auteur, cette distinction est artificielle. Les groupes de communication et les groupes éditoriaux jouent dans la même cour et ont les mêmes pratiques. Les premiers font de l'argent, sans honte ; les seconds font de l'argent, sans plus de honte, mais ressentent le besoin de cultiver leur image<strong>3</strong>. D'où leur défense de la librairie indépendante dont l'auteur nous dit qu'elle est importante « surtout pour l'image <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/09/14/car" title="car">car</a> pour les gros sous, ça se passe dans les supermarchés », lieux adaptés pour recevoir ces livres produits en masse et à l'obsolescence calculée ; cette « surproduction est aussi la base d'une alliance entre médias et édition, qui fournit le flux continuel d'amnésie et de distraction nécessaire pour garder en état de consommation maximale le monde social où l'on nous fait vivre. »<br />
Et que dire d'Actes Sud, modeste maison d'édition de province, oeuvre d'un passionné (Hubert Nyssen, vieil homme ayant fait ses classes dans la publicité), devenue en deux décennies une référence pour la qualité de son catalogue (Berberova, Auster...)... et sa gestion performante. Actes Sud est peut-être née dans une bergerie provençale, aujourd'hui, elle est une entreprise capitaliste comme les autres. Et si Actes Sud fait son beurre dans l'édition, elle le doit notamment aux capitaux (en particulier immobiliers) de l'époux de la fille du fondateur, Jean-Paul Capitani, qui, en retour, profite de la valorisation, via Actes Sud et ses activités culturelles (plus ou moins subventionnées), de ses propriétés dans Arles. Mais dans le monde de l'édition, il vaut mieux se vendre au grand public comme dénicheur de talents que comme businessman avisé...<br /></p>
<p>Business is business. Tout peut se vendre, y compris la critique sociale. Qu'importe le flacon pourvu que l'on offre l'ivresse radicale en tête de gondole. Thierry Discepolo ne manque pas de citer ces éditeurs au catalogue si peu politiquement correct dont les actionnaires majoritaires ou propriétaires sont de grands groupes capitalistes : La Découverte, Zones et les Empêcheurs de penser en rond, propriétés du groupe Editis-Planeta, Mille-et-Une-nuits, propriété de Hachette, Textuel et Les liens qui libèrent, adossés au à la holding Actes Sud. Aux mauvais esprits qui y verraient là comme une contradiction, la réponse est éternelle : les éditeurs insistent sur l'indépendance intellectuelle dont ils jouissent ; les auteurs s'accommodent ou remercient ces grands groupes de leur offrir la possibilité de toucher enfin les larges masses. Credo quia absurdum...<br /></p>
<p>Hachette n'incarne pas le mal et les grands éditeurs indépendants, la vertu. « Suffit-il, nous dit l'auteur, que les capitaux d'Actes sud, d'Albin Michel, de Gallimard, d'Odile Jacob et d'autres échappent (encore) à Lagardère ou à un semblable pour qu'ils ne suivent pas la même logique de croissance par acquisition qui prépare la suivante ? » La réponse se trouve en annexe puisque l'auteur y a glissé une chronologie aussi impressionnante qu'éclairante des multiples rachats, fusions ayant touché le monde de l'édition et de la diffusion-distribution. <br />
En rédigeant cette « antilégende de l'édition », l'auteur nous invite tout simplement à « chercher un peu plus loin que le quarteron des « grands éditeurs indépendants » pour (re)trouver le sens d'un métier sur lesquels les rêveurs peuvent compter : des producteurs de livres qui ne soient pas tout à fait un objet de consommation comme un autre ». Je le crois sur parole...<br />
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<p><strong>Notes</strong><br />
1. J'en citerais tout de même deux : son goût pour la musique baroque (quel ennui !) et sa méconnaissance totale de l'art footballistique, ce qui, pour un Marseillais, ne peut être qu'une preuve de dandysme.<br />
2. L'auteur se laisse aller parfois à quelques saillies verbales. La palme revient au jugement qu'il porte sur le livre de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! », qualifié d'« hostie cathartique ».<br />
3. Modérons nos propos. Si l'on croît Bernard-Henri Lévy, le spécialiste de l'entertainment moraliste, son ami et patron Jean-Luc Lagardère (Hachette), fabriquait certes des avions de guerre, mais « c'est le métier des livres dont il était secrètement le plus fier. » Le défunt marchand d'armes avait un coeur, nous voici rassuré.</p>