Le Monde comme il va - Histoire, textes historiquesLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016Dotclear1914-1918, "A bas la guerre !"urn:md5:60bcdf92c0218055f2516498c80039942014-09-17T21:59:00+01:00PatsyHistoire, textes historiques<p>Salut à toutes et tous,<br />
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Le samedi 20 septembre à 10h30, Alternantes FM diffusera pour la première fois une émission spéciale que j'ai réalisée sur des formes de refus de la guerre durant le premier conflit mondial. Vous en trouverez une présentation ci-dessous.<br />
Vous pouvez télécharger cette émission en cliquant sur ce <a href="http://we.tl/quoOidETO8">lien</a> et l'écouter quand bon vous semblera ! Ce lien ne sera valide que jusqu'au 24 septembre.<br />
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@mitiés,<br />
Patsy<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.antimilitarismeA_m.jpg" alt="antimilitarismeA.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="antimilitarismeA.jpg, sept. 2014" /></p> <p><strong>1914-1918, « A bas la guerre ! »</strong><br />
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1914-1918, quatre années de guerre, de sang, de tripes, de larmes. Quatre années passées dans la boue des tranchées, parmi les rats, les cadavres pourrissant et la vermine. Quatre années passées dans la peur de la mort, dans le fracas des bombes ; baïonnette au canon, hurlant pour se donner le courage nécessaire, sortir de la tranchée, gagner le parapet et prier pour ne pas être fauché par la mitrailleuse. Ypres, la Marne, le sentier des Dames... et le sang impur rejoint le nôtre dans le sillon.<br />
Quatre années passées sous les ordres des brutes galonnées, à subir leur rhétorique sur les Boches. Le Boche est ceci, le Boche est cela, le Boche est ainsi. Mais le Boche est comme nous. C'est qu'un pauvre poilu qui n'a jamais demandé à venir là. Le Boche ne veut pas plus faire la guerre que nous. Il veut manger à sa faim, serrer dans ses bras sa femme et embrasser ses enfants. S'ils l'aiment tant cette guerre, les brutes galonnées, qu'ils la fassent à notre place ! Pauvres de nous qui les avons cru quand ils claironnaient que nous serions à Berlin avant l'hiver. Mais ici, c'est pas Berlin. C'est la campagne du Nord et de l'Est, une campagne dévastée, trop froide l'hiver, étouffante l'été.<br /></p>
<p>1914-1918, quatre années de guerre, de sang, de tripes et de larmes. La Grande Boucherie mérite bien son surnom. Mais à certains endroits du front, il se passa des choses étonnantes ; des choses si étonnantes qu'on les passa sous silence. Je ne parle pas seulement de l'hiver 1914 où soldats anglais et allemands décidèrent sur le tas de s'offrir une trêve : une poignée d'heures sans bombes, sans peur, sans camarade lâchant son dernier râle sur le no man's land. Je parle de cette fraternisation instituée en certains lieux du front par les poilus eux-mêmes, de cet accord tacite de ne point trop se faire la guerre dès que les brutes galonnées eurent le bon goût de gagner l'arrière. Par lassitude, par pacifisme, qu'importe. Comme l'écrit un soldat du 38e régiment d'infanterie, « nous voulons la paix ! Blanche ou noire, ça nous est égal, ça nous rapportera pas plus d'une façon que de l'autre, nous serons les bonnes poires jusqu'au bout car les jusqu'au-boutistes font toujours bon marché de la vie des pauvres. »<br /></p>
<p>Bienvenue parmi les poilus et leurs paroles.</p>"La grève générale" !urn:md5:a0198a829454c23c056069d35fdca9862010-12-13T19:44:00+00:00PatsyHistoire, textes historiquesSyndicalisme<p><strong>Chronique n°8 (décembre 2010)</strong><br />
Comme de coutume, pour cette dernière émission de l'année 2010, je vais vous offrir l'une de ces chroniques de feu de Dieu dont nous gratifia Emile Pouget en l'an de grâce 1889. Pouget, syndicaliste-révolutionnaire, animait alors <em>Le Père peinard</em>, une feuille anarcho à la plume vitriolée. A coups d'argot, ils réglaient son compte aux puissants, ceux des usines et des gouvernements, sans oublier les calotins. <br />
En novembre 1889, il en appelait à la grève générale, seul moyen, écrivait-il, de ne pas « rentrer couillons comme la lune dans le bagne patronal ».<br />
Ecoutez plutôt !</p> <p>« La grève générale » (Emile Pouget, novembre 1889)<br /></p>
<p>Nom de dieu, ça a l’air de chauffer bougrement dans tous les patelins. Si ça marche sur ce pied, nous allons en voir de belles : ça pourrait bien être le commencement de l’entrée en danse. Dans le Pas -de-Calais et dans le Nord, les mineurs se remuent et font du pétard.<br />
En Belgique, dans un patelin qui est tout noir de charbon, le Borinage, et où les pauvres bougres triment dur et gagnent peu, ça bibelotte aussi. Les Angliches eux, font des réunions épastrouillantes, dans les rues et sur les places. Ils sont des milliers, et des milliers à discuter la question de la Grève Générale.<br />
Y a pas jusqu’aux Alboches qui n’aient des intentions de faire du chabanais. Les mineurs de Westphalie ont été roulés comme des couillons par leur cochon d’empereur et leurs salops de patrons. Ils ont ça sur le coeur, et ils n’attendent qu’une occase pour recommencer plus hardiment que la première fois.<br />
Ah, mille tonnerres, l’hiver s’annonce bougrement mal pour les richards ; tout ça va leur foutre une frousse du diable ! Ils pourraient bien piquer un de ces chahuts, très hurf, quelque chose dans les grands prix, qui les ferait rire jaune. Et nom de dieu, m’est avis que ça ne serait pas trop tôt.<br /></p>
<p>Seulement les amis, si on veut que ça aille comme sur des roulettes, faut pas faire les daims comme on a fait jusqu’ici. Faut plus se foutre en branle les uns après les autres, on n’y gagne que de se faire assommer chacun à son tour, - et sans profit pour personne. Aujourd’hui c’est la Grève Générale qu’il faut. Par exemple, pour le moment c’est les mineurs qui font du pétard ; le plus beau coup serait que tous les bons bougres qui travaillent dans les mines cessent illico de sortir du charbon.<br />
Puis, qu’il y ait de l’entente, que les uns ne tirent pas à hue, les autres à dia ! D’autant plus que s’il n’y a pas de solidarité entre les bons bougres, c’est eux qui en supportent les conséquences. A preuve les mineurs de Lens ; ils s’étaient foutus les premiers en grève, et les premiers ils ont repris le turbin. La Compagnie leur avait promis 10 pour 100 d’augmentation, les types étaient contents, ils croyaient avoir dégotté le Pérou, parce que leurs singes leur foutaient dix sous de plus par jour ! Tas de couillons. Or, savez-vous ? La Compagnie les a augmenté de dix sous, mais du même coup, elle les a diminué de quinze ; bénéfice net : cinq sous de perte par jour !<br /></p>
<p>Ah, nom de dieu, les patrons sont de meilleurs calculateurs qu’on ne pense : à chipotter sur les centimes avec eux, le populo sera toujours foutu dedans. Je vois d’ici la gueule que vont faire les Lensois le 6 novembre, qui est le jour de sainte Touche pour eux. Quand ils vont voir que leur quinzaine après leur victoire est moins forte qu’avant, ils allongeront un de ces nez, - qui pourrait bien porter malheur aux crapules de la Compagnie.<br />
Voilà ce qu’ils ont gagné à vouloir faire la grève partielle ! Oui, nom de dieu, y a plus que ça aujourd’hui : la Grève Générale ! Voyez-vous ce qui arriverait, si dans quinze jours ou trois semaines y avait plus de charbon. Les usines s’arrêteraient, les grandes villes n’auraient plus de gaz, les chemins de fer roupilleraient. Ça serait la grève forcée pour un tas de métiers. Du coup le populo presque tout entier se reposerait. Ça lui donnerait le temps de réfléchir, il comprendrait qu’il est salement volé par les patrons, et dam, il se pourrait bien qu’il leur secoue les puces dare-dare ! Mais nom de dieu, faudrait pas se borner à la grève toute pure. C’est une blague infecte, qui ne procure que davantage de mistoufle, si au bout d’un mois ou deux, il faut rentrer couillons comme la lune, dans le bagne patronal.<br /></p>
<p>Faut plus de ça mille tonnerres ! Les bons bougres comprendront qu’ils ont mieux à faire qu’à s’enfermer dans leurs piaules, ou à se balader en rangs d’oignon, en gueulant des chansons pacifiques. Ils comprendront que le moment est venu de foutre les pieds dans le plat. Tant que le populo ne se sera pas foutu dans la caboche qu’il doit se passer de patrons, y aura rien de fait. Or pour apprendre à se passer de cette sale vermine, faut faire comme si elle n’existait pas. Ainsi par exemple les mines, c’est les mineurs qui les ont creusées, c’est eux qui les entretiennent et les pomponnent, c’est eux qui en sortent le charbon : les grosses légumes ne font qu’empocher les picaillons, et rien de plus.<br /></p>
<p>Donc, une fois que les mineurs seraient tous en l’air, que la grève serait quasiment générale ; après avoir affirmé en quittant le turbin, qu’ils en ont plein le cul de travailler pour leurs singes. Faudrait, nom de dieu, qu’ils se foutent à turbiner pour leur propre compte ; la mine est à eux, elle leur a été volée par les richards, qu’ils reprennent leur bien, mille bombes ! Et si les mineurs travaillaient pour eux, s’ils refusaient aux exploiteurs les gros bénéfices, y aurait plus les avaros qu’il y a : plus de grisou, plus de types écrabouillés, plus de purée pour les vieux, plus de mistoufle pour les estropiés ! Oui, nom de dieu, voilà ce qu’il faudrait ! Et le jour où assez marioles, y aura une tripotée de bons bougres qui commenceront le chabanais dans ce sens, eh bien, nom de dieu, foi de Père peinard, le commencement de la fin sera arrivé !</p>Histoire sociale : à l'origine du Premier Maiurn:md5:5e01417d980e00becd74a85bc48baf142010-04-27T21:58:00+01:00PatsyHistoire, textes historiquesAnarchismeEtats-UnisSyndicalisme<p><strong>Emission n°27 (avril 2010)</strong><br /></p>
<p>Samedi prochain se déroulera, comme de coutume, la célèbre et incontournable manifestation du Premier Mai. Pourquoi diable ce jour-là jette-t-il dans les rues des millions de travailleurs à travers le monde ? Pour répondre à cette question, il nous faut traverser l'Atlantique, nous rendre à Chicago et remonter le temps.</p> <p>Les années 1880 sont marquées outre-atlantique par l’essor des luttes ouvrières. Pas étonnant puisque le pays est mis en coupe réglée par les « robbers barons », les barons voleurs, ces hommes d'affaires comme Vanderbilt, Carnegie, Rockefeller ou JP Morgan, qui sont en train de se bâtir des fortunes colossales dans l'industrie, les affaires et les finances. Des barons voleurs qui se fichent comme d'une guigne du droit du travail... et du droit tout court. <br />
Dans une période de crise économique sévère, les grèves se succèdent, impulsées notamment par des organisations ouvrières de plus en plus puissantes, comme les Chevaliers du travail ou la Fédération américaine du travail. Les migrants européens, Allemands notamment, sont légion parmi eux. <br />
Les organisations ouvrières décident de faire du Ier Mai 1886 la date à partir de laquelle la revendication des Huit heures de travail quotidiennes doit entrer en application. Pour se faire, ils en appellent à la grève générale. <br /></p>
<p>A Chicago, ils sont donc 80 000 à se croiser les bras. Chicago est la ville-phare du mouvement ouvrier américain : les journaux socialistes et révolutionnaires y sont nombreux, les syndicats y sont puissants et actifs. <br />
Le 3 mai, à l’issue d’un rassemblement ouvrier devant l’entreprise MacCormick qui vient de licencier tout son personnel et de le remplacer par des non-grévistes, la Police et son auxiliaire, la célèbre agence de détectives, Pinkerton, font feu sur les manifestants, tuant deux d’entre eux. Le lendemain, il est décidé d’organiser en riposte un grand meeting à Haymarket Square. August Spies, l'un des militants les plus en vue de Chicago, rédige un appel incendiaire : « Toute votre vie, vous avez été des esclaves misérables et obéissants. Et pourquoi ? Pour satisfaire la cupidité insatiable et remplir les coffres de votre voleur et fainéant de maître. Aujourd'hui que vous lui demandez de soulager votre fardeau, il vous envoie ses tueurs pour vous tirer dessus. Pour vous tuer ! Nous vous exhortons à prendre les armes. Aux armes ! »<br />
Devant 3000 personnes, les intervenants se succèdent pour défendre les revendications ouvrières et dénoncer les violences policières. A la fin d’un discours, les forces de police interviennent pour mettre au fin au meeting. C’est alors qu’une bombe artisanale est lancée, tombe dans les rangs policiers. Aussitôt, c’est la panique et l'affrontement. Quand le calme revient sur Haymarket Square, on relève treize cadavres : six ouvriers et sept policiers.<br /></p>
<p>Dès le lendemain la presse, qui est aux mains des industriels, se déchaîne contre les syndicalistes et les anarchistes qu’elle rend responsables de l’attentat. La Police effectue une rafle dans les milieux révolutionnaires et incarcèrent huit hommes : Neebe, Lingg, Schwab, Fielden, Spies, Engel, Parsons et Fischer. Leur particularité : aucun n'était sur les lieux au moment de l'explosion, hormis Fielden, présent à la tribune. Leur procès se tient en juin de la même année. C’est un procès politique, évidemment truqué, le genre de procès dont sont friands nos démocraties quand ses intérêts vitaux sont en jeu : tous les jurés, comme le juge, ont été choisis dans les milieux bourgeois et antisocialistes de la ville. L’issue du procès ne fait donc aucun doute : seul Neebe échappe à la peine de mort.<br /></p>
<p>Durant l’année qui suit, les campagnes internationales de solidarité se succèdent pour essayer d’arracher à la potence les sept anarchistes. Le 10 novembre 1887, l’un d’eux, Louis Lingg, charpentier de son état, âgé de 21 ans, meurt en prison. A l'exécution, il a préféré le suicide. Le même jour, le gouverneur Oglesby confirme les peines de mort pour quatre des prisonniers : Adolf Fischer, Georg Engel et Auguste Spies, tous trois nés en Allemagne, et Albert Parsons, natif de l’Alabama. Justice de classe, justice expéditive... 24 heures plus tard, les quatre condamnés sont pendus. 250 000 personnes accompagneront le cortège funéraire de ceux que l'on appelle dès lors les « Martyrs de Chicago ».</p>Michel Bakounine et la démocratieurn:md5:da10bfa1ce24ab9cee0a34ba4222a6562010-03-11T19:47:00+00:00PatsyHistoire, textes historiquesAnarchismeDémocratie bourgeoiseSuisse<p><strong>Emission n°22 (mars 2010)</strong><br /></p>
<p>Comme je viens de vous dire tout le bien que je pensais de la démocratie représentative, que l'on appelait jadis bourgeoise, il me plaît maintenant de vous délivrer l'extrait d'une brochure de ce vieux barbu de Michel Bakounine. La brochure s'intitule « Les ours de Berne et l'ours de Saint-Pétersbourg ». Elle a paru en 1870, en Suisse. Dans le passage choisi, Bakounine nous livre une analyse simple et éclairante du système démocratique le plus avancé de l'époque : celui de la Suisse. Je vous laisse méditer les propos du Camarade Dynamite...</p> <p>« Il serait facile de démontrer que nulle part en Europe le contrôle populaire n'est réel. Nous nous bornerons pour cette fois à en examiner l'application <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/03/11/en" title="en">en</a> Suisse, (...) parce qu'étant aujourd'hui seule en Europe une république démocratique, elle a réalisé en quelque sorte l'idéal de la souveraineté populaire (...)<br />
Une fois le suffrage universel établi, on crut avoir assuré la liberté des populations. Eh bien, ce fut une grande illusion, et on peut dire que la conscience de cette illusion a amené dans plusieurs cantons la chute, et, dans tous, la démoralisation aujourd'hui si flagrante du parti radical. Les radicaux n'ont pas voulu tromper le peuple, comme l'assure notre presse soi-disant libérale, mais ils se sont trompés eux-mêmes. Ils étaient réellement convaincus lorsqu'ils promirent au peuple, par le moyen du suffrage universel, la liberté, et, pleins de cette conviction, ils eurent la puissance de soulever les masses et de renverser les gouvernements aristocratiques établis. Aujourd'hui, instruits par l'expérience et par la pratique du pouvoir, ils ont perdu cette foi en eux-mêmes et dans leur propre principe, et c'est pour cela qu'ils sont abattus et si profondément corrompus.<br />
Et en effet, la chose paraissait si naturelle et si simple : une fois que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif émaneraient directement de l'élection populaire, ne devaient-ils pas devenir l'expression pure de la volonté du peuple, et cette volonté pourrait-elle produire autre chose que la liberté et la prospérité populaire ?<br /></p>
<p>Tout le mensonge du système représentatif repose sur cette fiction, qu'un pouvoir et une chambre législative sortis de l'élection populaire doivent absolument ou même peuvent représenter la volonté réelle du peuple. Le peuple, en Suisse comme partout, veut instinctivement, veut nécessairement deux choses : la plus grande prospérité matérielle possible, avec la plus grande liberté d'existence, de mouvement et d'action pour lui-même ; c'est-à-dire la meilleure organisation de ses intérêts économiques, et l'absence complète de tout pouvoir, de toute organisation politique, — puisque toute organisation politique aboutit fatalement à la négation de sa liberté. Tel est le fond de tous les instincts populaires.<br /></p>
<p>Les instincts de ceux qui gouvernent, (...) font les lois <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/03/11/et" title="et">et</a> exercent le pouvoir exécutif, sont, à cause même de leur position exceptionnelle, diamétralement opposés. Quels que soient leurs sentiments et leurs intentions démocratiques, de la hauteur où ils se trouvent placés, ils ne peuvent considérer la société autrement que comme un tuteur considère son pupille. Mais entre le tuteur et le pupille l'égalité ne peut exister. D'un côté, il y a le sentiment de la supériorité, inspiré nécessairement par une position supérieure ; de l'autre, celui d'une infériorité qui résulte de la supériorité du tuteur, exerçant soit le pouvoir exécutif, soit le pouvoir législatif. Qui dit pouvoir politique, dit domination ; mais là où la domination existe, il doit y avoir nécessairement une partie plus ou moins grande de la société qui est dominée, et ceux qui sont dominés détestent naturellement ceux qui les dominent, tandis que ceux qui dominent doivent nécessairement réprimer, et par conséquent opprimer, ceux qui sont soumis à leur domination.<br /></p>
<p>Telle est l'éternelle histoire du pouvoir politique, depuis que ce pouvoir a été établi dans le monde. C'est ce qui explique aussi pourquoi et comment des hommes qui ont été les démocrates les plus rouges, les révoltés les plus furibonds, lorsqu'ils se sont trouvés dans la masse des gouvernés, deviennent des conservateurs excessivement modérés dès qu'ils sont montés au pouvoir. On attribue ordinairement ces palinodies à la trahison. C'est une erreur ; elles ont pour cause principale le changement de perspective et de position ; et n'oublions jamais que les positions et les nécessités qu'elles imposent sont toujours plus puissantes que la haine ou la mauvaise volonté des individus.<br /></p>
<p>Pénétré de cette vérité, je ne craindrai pas d'exprimer cette conviction, que si demain on établissait un gouvernement et un conseil législatif, un parlement, exclusivement composés d'ouvriers, ces ouvriers, qui sont aujourd'hui de fermes démocrates socialistes, deviendraient après-demain des aristocrates déterminés, des adorateurs hardis ou timides du principe d'autorité, des oppresseurs et des exploiteurs. Ma conclusion est celle-ci : Il faut abolir complètement, dans le principe et dans les faits, tout ce qui s'appelle pouvoir politique ; parce que tant que le pouvoir politique existera, il y aura des dominateurs et des dominés, des maîtres et des esclaves, des exploiteurs et des exploités. Le pouvoir politique une fois aboli, il faut le remplacer par l'organisation des forces productives et des services économiques. » <br /></p>
<p>Michel Bakounine, <em>Les ours de Berne et l'ours de Saint-Pétersbourg</em>, 1870.</p>Pierre Archinovurn:md5:9d72d3161360ee7d16a9da086a09be362009-10-25T07:52:00+00:00PatsyHistoire, textes historiquesAnarchismeArchinovEtatRévolution russe<p>Emission n°5 (octobre 2009)<br /></p>
<p>Au gré de mes humeurs (et Dieu sait qu'elles sont changeantes), je vous proposerai à l'occasion un texte révolutionnaire à caractère historique, agrémenté de commentaires de mon cru qui, je l'espère, vous convaincront de l'opportunité d'une telle exhumation.</p>
<p>Cette semaine, j'ai ressorti de ma bibliothèque un texte de Pierre Archinov. Pierre Andreïevitch Archinov (1887-1937) fut l'une des figures importantes du mouvement makhnoviste, ce mouvement d'ouvriers et paysans ukrainiens qui luttèrent contre les Tsaristes et les bolchéviks au nom de la défense des soviets libres et de l'autonomie communale.</p> <p>Plusieurs fois condamné pour terrorisme ou trafic d'armes, Pierre Archinov recouvre la liberté au printemps 1917 et s'investit immédiatement dans les groupes anarchistes moscovites avant de rejoindre son ancien compagnon de cellule, Nestor Makhno, en Ukraine et de prendre part au mouvement révolutionnaire local. Comme Makhno et tant d'autres, il fut contraint à l'exil quand ce mouvement fut défait par l'Armée rouge. De retour en Russie en 1935, il est, deux ans plus tard, l'une des innombrables victimes des purges staliniennes.
Le texte ci-dessous, écrit en 1921, est extrait pour l'essentiel du chapitre premier de son livre L'Histoire du mouvement makhnoviste, livre qu'il achève alors que les makhnovistes sont en passe d'être totalement liquidés par l'Armée rouge dirigée par Léon Trotsky Ce livre édité par Bélibaste en 1969 a été réédité par les Editions Ressouvenances.</p>
<p>Comme avant lui Bakounine, fustigeant le pédantisme des savants et des « scientifico-politiques » marxistes (« la science est la boussole qui peut nous guider dans la vie, mais elle n'est pas la vie ») ou Makhaïski (auteur du « Socialisme des intellectuels »), Pierre Archinov y fait le procès du bolchevisme, de ces « révolutionnaires professionnels » qui n'ont que mépris pour un peuple considéré comme une « matière brute privée de volonté, d'initiative et de conscience, incapable de se diriger elle-même ». Il nous appelle à nous défier des phraseurs et des doctrinaires qui entendent faire notre bonheur à notre place.</p>
<pre></pre>
<p>« Il n'existe pas, dans l'histoire du monde, une seule révolution qui ait été accomplie par le peuple travailleur dans son propre intérêt ; c'est-à-dire par les ouvriers des villes et les paysans pauvres n'exploitant pas le travail d'autrui. Bien que la force principale de toutes les importantes révolutions réside dans les ouvriers et les paysans faisant de grands et innombrables sacrifices pour leur triomphe, les guides, les organisateurs des moyens, les idéologues des buts furent invariablement, non pas les ouvriers et les paysans, mais des éléments d'à côté : des éléments qui leur étaient étrangers, généralement intermédiaires, hésitant entre la classe dominante de l'époque mourante et le prolétariat des villes et des campagnes.</p>
<p>C'est toujours la désagrégation du régime croulant, du vieux système d'Etat, accentuée par l'impulsion des masses esclaves vers la liberté qui développe et accroît ces éléments. C'est par leurs qualités particulières de classe et leur prétention au pouvoir dans l'Etat qu'ils prennent une position révolutionnaire vis-à-vis du régime politique agonisant et deviennent facilement les guides des opprimés. Mais tout en organisant la révolution, en la dirigeant sous l'égide et le prétexte des intérêts vitaux des travailleurs, ils poursuivent leurs intérêts étroits de groupes ou de castes. Ils aspirent à employer la révolution dans le but d'assurer leur prépondérance dans le pays. (...)</p>
<p>Dans toutes les révolutions passées, les ouvriers et les paysans ne parvinrent qu'à esquisser sommairement leurs aspirations fondamentales, qu'à former seulement leur courant, généralement dénaturé et en fin de compte liquidé par les « meneurs » de la révolution, plus malins, plus rusés et plus instruits. (...)</p>
<p>Notre révolution russe est sans aucun doute et jusqu'à présent une révolution politique, qui réalise par les forces populaires des intérêts étrangers au peuple. Le fait fondamental, saillant de cette dernière révolution, c'est – à l'aide des sacrifices, des souffrances et des efforts révolutionnaires les plus grands des ouvriers et des paysans – la saisie du pouvoir politique par un groupe intermédiaire : l'intelligentsia (couche intelligente) socialiste-révolutionnaire, - en réalité, démocrate-socialiste. (...)</p>
<p>En vivant dans les privilèges, l'intellectuel devient privilégié non seulement socialement mais aussi psychologiquement. Toutes ses aspirations spirituelles, tout ce qu'il entend par son « idéal social » renferme infailliblement l'esprit du privilège de caste. Cet esprit se manifeste dans tout le développement de l'intelligentsia socialiste. Les relations entre le peuple et elle se fixèrent définitivement : le peuple marchant vers l'auto-direction civile et économique ; la démocratie cherchant à exercer le pouvoir sur le peuple. La liaison entre eux ne peut tenir qu'à l'aide de ruses, de tromperies et de violences, mais en aucun cas d'une façon naturelle par la force d'une communauté d'intérêts. Ces deux éléments sont hostiles l'un à l'autre.</p>
<p>L'idée étatiste elle-même, l'idée d'une direction des masses par la contrainte fut toujours le propre des individus chez lesquels le sentiment d'égalité est absent et où l'instinct d'égoïsme domine, individus pour lesquels la masse humaine est une matière brute privée de volonté, d'initiative et de conscience, incapable de se diriger elle-même.</p>
<p>Cette idée fut toujours la caractéristique des groupements privilégiés se trouvant en dehors du peuple travailleur (...) Ce n'est pas par hasard que le socialisme moderne s'est montré le serviteur zélé de la même idée. Le socialisme est l'idéologie d'une nouvelle caste de dominateurs. Si nous observons attentivement les apôtres du socialisme étatiste, nous verrons que chacun d'eux est plein des aspirations centralistes, que chacun se regarde avant tout comme un centre dirigeant et commandant autour duquel les masses gravitent. Ce trait psychologique du socialisme étatiste et de ses édiles est la continuation directe de la psychologie des groupements anciens éteints ou en train de disparaître. (...)</p>
<p>Toute la construction actuelle, soi-disant socialiste, pratiquée en Russie, tout l'appareil étatiste de la direction du pays, la création des nouvelles relations sociales et politiques, tout cela n'est avant tout que l'édification d'une nouvelle domination de classe sur les producteurs, l'établissement d'un nouveau pouvoir socialiste sur eux. (...)</p>
<p>Les mots d'ordre du mouvement d'Octobre 1917 étaient : « Les usines aux ouvriers ! La terre aux paysans ! ». Tout le programme social et révolutionnaire des masses se trouvaient dans ce mot d'ordre, bref, mais profond par son sens : anéantissement du capitalisme, suppression du salariat, de l'esclavage étatiste, et organisation d'une vie nouvelle basée sur l'auto-direction des producteurs.
En fait la révolution d'Octobre ne réalisa aucunement ce programme : le capitalisme n'est pas détruit, mais réformé ; le salariat et l'exploitation des producteurs restent en vigueur ; et quant au nouvel appareil étatiste, il n'opprime pas moins les travailleurs que l'appareil étatiste du capitalisme privé et agrarien. On ne peut donc appeler la révolution russe « révolution d'Octobre », que dans un sens précis et étroit : celui de la réalisation des buts et des problèmes du parti communiste.</p>
<p>Le bouleversement d'Octobre, de même que Février-Mars 1917, n'est qu'une étape dans la marche générale de la révolution russe. Le parti communiste profita des forces révolutionnaires du mouvement d'Octobre pour ses propres vues et buts, et cet acte ne représente pas toute notre révolution. Le processus général de la révolution comprend toute une série d'autres courants ne s'arrêtant pas à Octobre, mais allant plus loin, vers la réalisation des problèmes historiques des ouvriers et des paysans : la communauté travailleuse, égalitaire et non-étatiste. L'« Octobre » actuel, traînant en longueur et déjà affermi, devra indubitablement faire place à une étape ultérieure populaire de la révolution. Au cas contraire, la révolution russe, comme toutes précédentes, n'aura été qu'un changement de pouvoir. » (...)</p>
<p>Dans la foi maladive en sa dictature, le bolchevisme est devenu tellement impassible, ossifié et rigide, que les besoins et les appels de la révolution lui sont devenus totalement étrangers, qu'il a fini par préférer en voir le cadavre plutôt qu'à consentir des concessions. Il a joué un rôle funeste pour toute la Révolution russe. Il a tué l'esprit d'indépendance et d'initiative révolutionnaire parmi les masses ; il a brisé les plus grandes possibilités révolutionnaires que les travailleurs aient jamais eues au cours de l'histoire. C'est à cause de cela que les prolétaires de tout l'univers finiront par le clouer à jamais au pilori.(...)</p>
<p>Plus que toute autre chose, la pratique du socialisme en Russie a démontré que les classes laborieuses n'ont pas d'amis, qu'elles n'ont que des ennemis qui cherchent à s'emparer des fruits de leur travail. La socialisme a démontré pleinement qu'il appartient, lui aussi, au nombre de leurs ennemis. Cette idée s'implantera plus fermement d'année en année dans la conscience des masses du peuple.
Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité et créez-la : vous ne la trouverez nulle autre part. Tels sont les mots d'ordre actuels de la Révolution russe ! »</p>
<p><strong>Ce texte sera reproduit dans la revue trimestrielle <em>Offensive</em> qui, à chaque numéro, propose à ses lecteurs des extraits de textes anciens</strong></p>